MONROVIA – L’Agence libérienne de lutte contre les stupéfiants (LDEA), censée incarner le fer de lance de la lutte antidrogue, est aujourd’hui le symbole d’un appareil sécuritaire fragilisé, miné par des scandales, des rivalités internes et des soupçons d’infiltration par les réseaux criminels qu’elle est censée combattre.
Le 28 août, le président Joseph Boakai a limogé, pour « raisons administratives », le directeur général Anthony K. Souh, le directeur adjoint de l’administration Gwee Forkpa et le directeur adjoint des opérations Sebastian Farr. Cette décision, annoncée moins d’un an après leur nomination, marque le troisième remaniement majeur de l’agence depuis l’arrivée au pouvoir de Boakai en 2024.
Si la présidence présente cette mesure comme un geste « fort » pour restaurer l’intégrité d’une institution en crise, nombre d’observateurs y voient un aveu d’échec.
Depuis des mois, la LDEA est secouée par des luttes intestines spectaculaires. L’affaire la plus marquante remonte à début 2024, lorsque son directeur Abraham Kromah et son adjoint Hassan Fadiga se sont publiquement accusés de corruption et d’abus de pouvoir. La querelle a culminé en une altercation armée au siège de l’agence, nécessitant l’intervention de la police.
Ces affrontements ont gravement ébranlé la confiance des partenaires internationaux, notamment le Département d’État américain et l’ONUDC, qui avaient soutenu financièrement plusieurs programmes de la LDEA.
Anthony Souh, nommé en fin 2024 pour stabiliser l’institution, n’a pas échappé au chaos. Son bras droit, Sebastian Farr, a publié un rapport accablant dénonçant des perquisitions illégales, des extorsions, des libérations de suspects sans procédure et des fuites d’informations sensibles. Ces alertes n’ont entraîné aucune sanction notable, renforçant la perception d’une impunité généralisée.
Les accusations vont au-delà des simples dysfonctionnements administratifs. En juillet 2025, Gwee Forkpa, alors numéro deux de la LDEA, a affirmé publiquement que des personnalités politiques influentes étaient impliquées dans le trafic de drogue, soulignant que l’agence fonctionnait avec des moyens dérisoires : « Plus de la moitié de nos agents sont des bénévoles non formés, sans salaire ni logistique. Comment lutter contre des cartels organisés dans ces conditions ? »
Ces propos font écho aux déclarations de l’ancienne commandante Martha Massaley, qui, en 2022, avait révélé devant le Parlement qu’un député en exercice était impliqué dans le trafic. Son effondrement en pleine audition et son silence ultérieur avaient alimenté les soupçons de pressions politiques.
Les révélations et scandales successifs ont sapé la confiance de la population. Le sénateur Amara Konneh a dénoncé une « administration inefficace et compromise », accusant certains responsables de saboter délibérément la lutte antidrogue. Il cite en exemple le transfert punitif d’agents ayant arrêté une trafiquante et dénoncé en direct les pressions politiques, preuve selon lui d’une infiltration des cartels « jusqu’au sommet de l’État ».
Sur le terrain, les conséquences sont alarmantes. Selon l’UNFPA, un jeune Libérien sur cinq consomme des drogues, principalement le kush, une drogue de synthèse bon marché apparue en 2016. Plus de 866 repaires de drogue sont répertoriés à Monrovia, témoignant d’une crise sanitaire et sociale profonde.
Face à l’explosion du phénomène, des dizaines de milliers de Libériens ont défilé en début d’année lors de la manifestation « Dites non à la drogue », exigeant des mesures concrètes. Cette mobilisation massive a contraint l’administration Boakai à promettre 3,5 millions de dollars pour la prévention et la réhabilitation des toxicomanes, mais seuls des fonds limités ont été versés aux services concernés.
Pour tenter de regagner du crédit, Boakai a confié la direction intérimaire de la LDEA à Fitzgerald TM Biago (Police nationale), assisté d’Ernest T. Tarpeh (NSA) et Patrick B. Kormazu. Le ministère de la Justice a été chargé de conduire un audit complet sous 90 jours.
Cependant, de nombreux analystes doutent que cette énième restructuration permette une transformation en profondeur : « On assiste plus à un exercice bureaucratique qu’à une réelle réforme », estime un ancien cadre de l’agence.
Pour les organisations religieuses et civiles, les limogeages ne suffisent pas. « Ces responsables doivent être poursuivis pour restaurer la confiance du public », a insisté Christopher Wleh Toe, secrétaire général du Conseil des Églises du Liberia.
Alors que la consommation de stupéfiants explose et que les cartels étendent leur influence, l’échec de la LDEA illustre les limites d’une gouvernance qui, malgré des discours fermes, peine à obtenir des résultats tangibles.