Le sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), tenu à Tianjin les 31 août et 1er septembre 2025, a donné un nouveau coup de semonce à l’ordre mondial. En rassemblant Vladimir Poutine, Narendra Modi, Recep Tayyip Erdoğan et Massoud Pezeshkian, Xi Jinping a offert au monde une démonstration de force diplomatique qui soulève une question majeure : Pékin cherche-t-il à ériger un bloc « non occidental » destiné à contester l’hégémonie américaine, ou s’agit-il d’une simple riposte pragmatique à un Occident en perte de repères ?
Le choix de Tianjin, ancienne ville de concessions étrangères et symbole des humiliations subies par la Chine impériale, n’a rien d’anodin. Sous des bannières géantes exaltant « l’esprit de Tianjin » et « la confiance mutuelle », Xi Jinping a accueilli plus de vingt dirigeants étrangers dans un dispositif diplomatique parfaitement chorégraphié. Avec l’OCS – qui représente près de la moitié de la population mondiale et environ 23,5 % du PIB global –, Pékin entend montrer qu’il est capable de fédérer un contre-pouvoir face à un Occident divisé. Les images de Poutine et Modi, adversaires historiques, échangeant des poignées de main sous le patronage chinois ont renforcé l’idée d’un leadership chinois assumé.
Créée en 2001 comme forum régional, l’OCS est devenue une véritable plateforme de légitimation d’un ordre mondial alternatif, dont la Chine est le pivot. L’intégration de nouveaux membres comme l’Iran, et le rapprochement avec des acteurs clés tels que la Turquie, traduisent une volonté de bâtir une architecture géopolitique affranchie de Washington. Les discussions bilatérales, axées sur la guerre en Ukraine, le programme nucléaire iranien et les pressions économiques américaines, ont confirmé l’ambition de Pékin : réécrire les règles du jeu mondial.
Mais ce projet soulève des interrogations. Accusée de soutenir tacitement Moscou dans le conflit ukrainien, la Chine cultive une posture ambiguë : elle critique les livraisons d’armes américaines à Kiev tout en se présentant comme médiatrice neutre. Cette diplomatie du « double discours » nourrit les soupçons d’un axe Pékin-Moscou-Téhéran visant à affaiblir l’Occident, alors que la Russie, étranglée par les sanctions, glisse dans une dépendance accrue envers Pékin.
Derrière les sourires de circonstance, des fractures profondes demeurent. Les rivalités sino-indiennes, les divergences stratégiques entre Moscou et New Delhi, ou encore l’équilibrisme d’Ankara, membre de l’OTAN, compromettent l’idée d’un front parfaitement uni. Quant au projet phare de dédollarisation des échanges commerciaux au sein de l’OCS, il se heurte à des obstacles techniques et politiques majeurs, illustrant les limites de cette coalition hétérogène.