En Tunisie, les « barbechas », ces travailleuses et travailleurs qui sillonnent les rues à la recherche de déchets recyclables, constituent un maillon essentiel mais marginalisé de l’économie circulaire. Sous un soleil accablant, ils collectent bouteilles en plastique, cartons et autres matériaux revendables, souvent pour quelques centimes d’euro par kilogramme. Ce labeur, largement exercé par des femmes sous-rémunérées, reflète les crises économique et migratoire qui ébranlent le pays.
À Bhar Lazreg, quartier populaire de la banlieue nord de Tunis, Hamza Jabbari, un quadragénaire, incarne cette réalité. Dès l’aube, il parcourt les rues avant le passage des éboueurs, remplissant des sacs de bouteilles plastiques qu’il revend à un centre de collecte. « C’est le seul travail accessible en l’absence d’opportunités d’emploi », confie-t-il. Avec un kilo de plastique valorisé entre 500 et 700 millimes (14 à 20 centimes d’euro), il faut accumuler des quantités importantes pour joindre les deux bouts. Cette activité, bien que cruciale pour le recyclage, demeure informelle et précaire.
D’après Hamza Chaouch, président de la Chambre nationale des collecteurs de déchets recyclables, environ 25 000 barbechas opèrent en Tunisie, dont 40 % dans la capitale. Leur nombre a considérablement augmenté ces dernières années, alimenté par la hausse du coût de la vie et une crise économique persistante. Avec un taux de pauvreté supérieur à 16 %, un chômage avoisinant 16 % et une inflation de 5,4 % en 2025, le ramassage de déchets est devenu une activité complémentaire pour de nombreux Tunisiens. Ouvriers, retraités et femmes de ménage s’y adonnent pour pallier l’insuffisance de leurs revenus.
La crise touche également les migrants subsahariens, souvent coincés en Tunisie après des tentatives avortées de rejoindre l’Europe. Abdelkoudouss, un Guinéen de 24 ans, illustre ce phénomène. Après deux échecs pour traverser la Méditerranée, il collecte des bouteilles plastiques pour subvenir à ses besoins, comme payer son loyer ou acheter des médicaments. « La vie ici est difficile », témoigne-t-il. Ce recours au ramassage de déchets s’inscrit dans un contexte où la Tunisie, sous pression de l’Union européenne, a intensifié ses efforts pour limiter les traversées migratoires.
Malgré leur contribution indispensable à l’économie circulaire, les barbechas restent marginalisés. Leur travail, souvent effectué dans des conditions exténuantes, est peu valorisé et mal rémunéré. Les femmes, qui représentent une part significative de ce secteur, sont particulièrement vulnérables, transportant de lourdes charges dans des conditions indignes. Pourtant, sans ces acteurs de l’ombre, la filière du recyclage tunisienne serait gravement compromise.
L’augmentation du nombre de barbechas traduit à la fois un désespoir croissant et une résilience face à l’adversité. Leur invisibilité soulève une question cruciale : comment valoriser et soutenir ces travailleurs essentiels pour bâtir une économie circulaire plus juste et inclusive ? Une reconnaissance officielle de leur rôle, assortie de meilleures conditions de travail et d’une rémunération équitable, pourrait transformer ce secteur informel en un levier de développement durable pour la Tunisie.