Le Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) a exprimé mardi sa vive inquiétude face à une « montée de la censure » et à une menace « sans précédent » contre la liberté de la presse dans le pays. Dans un communiqué publié après une réunion de son bureau exécutif élargi, le syndicat a qualifié la situation de « critique », pointant des pressions politiques et des difficultés économiques et sociales susceptibles de provoquer la disparition de plusieurs médias.
Le SNJT dénonce des « tentatives continues de soumettre et de domestiquer » les médias à travers des restrictions, du harcèlement et des exclusions, qui empêchent notamment les journalistes de couvrir des procès d’opinion et contribuent à dissimuler des informations d’intérêt public. L’organisation souligne que la majorité des reporters locaux et internationaux se voient régulièrement interdire l’accès aux tribunaux pour suivre les procès impliquant des personnalités politiques et médiatiques.
Le syndicat met également en lumière la privation du droit d’obtenir la carte de presse professionnelle pour les journalistes et des autorisations de tournage pour les correspondants étrangers. « Ces pratiques reflètent une volonté manifeste de saper l’essence même du journalisme libre et de transformer les médias en outils de propagande », fustige le SNJT.
Cette offensive contre la presse s’inscrit dans un tableau plus large de régression démocratique, amorcée depuis le « coup de force » du président Kais Saied le 25 juillet 2021. Ce jour-là, le chef de l’État avait suspendu le Parlement, limogé le gouvernement et s’était arrogé des pouvoirs exceptionnels, invoquant une « urgence nationale ». Quatre ans plus tard, ces mesures, initialement présentées comme temporaires, ont évolué en une concentration autoritaire des pouvoirs qui inquiète profondément les observateurs. Plusieurs organisations non gouvernementales (ONG), tant locales qu’internationales comme Amnesty International ou Reporters sans frontières, ont multiplié les rapports accablants, documentant une érosion alarmante des droits humains et des libertés fondamentales. La liberté d’expression, pilier de la transition post-Ben Ali, est aujourd’hui sous assaut : arrestations arbitraires d’opposants, dissolution de partis politiques, et une rhétorique officielle qui assimile la critique à de la « trahison ».
Les derniers développements ne font qu’exacerber ces craintes. Au cours des jours écoulés, les autorités tunisiennes ont ordonné la suspension pour une période de 30 jours des activités de deux piliers de la société civile : l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD), qui défend inlassablement les droits des femmes depuis des décennies, et le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES), connu pour son militantisme contre les inégalités et les violations sociales. Ces interdictions, justifiées par des motifs flous liés à la « sécurité nationale », sont perçues comme une tentative flagrante de neutraliser toute forme d’opposition organisée. « C’est un signal clair, non seulement la presse est visée, mais l’ensemble de l’espace civique est en train d’être étouffé », analyse un membre anonyme du SNJT. Ces mesures rappellent les heures sombres de l’ère Ben Ali, où la société civile était systématiquement muselée, et ravivent les souvenirs douloureux d’une révolution qui avait promis un horizon de pluralisme et de transparence.
Face à ce climat de restriction et de contrôle croissant, le SNJT ne se contente pas de dénoncer ; il appelle les autorités à « assumer pleinement leur responsabilité » et à restaurer un environnement propice à l’exercice libre du journalisme. Le syndicat exhorte le gouvernement à lever immédiatement les barrières à l’accès aux institutions publiques, à garantir la délivrance sans entrave des cartes professionnelles et des accréditations, et à cesser toute forme de harcèlement contre les médias. « La presse tunisienne n’est pas un ennemi de l’État ; elle est son miroir, et son meilleur atout pour une démocratie vivante », insiste le communiqué, en rappelant que la liberté de la presse fut l’un des acquis majeurs de la révolution de 2011. Sans elle, avertit le SNJT, la Tunisie risque de replonger dans les abysses de l’opacité et de l’arbitraire, où le peuple, privé de voix, ne peut plus que murmurer ses espoirs.
Cette alerte du SNJT intervient à un moment charnière pour la Tunisie, alors que le pays prépare des élections législatives et présidentielles dans un climat d’incertitude. Les médias indépendants, déjà fragilisés par la crise économique – inflation galopante, chômage des jeunes à plus de 40 %, et dépendance accrue aux prêts internationaux –, peinent à survivre sans subventions ou publicités d’État. Plusieurs titres, comme le journal Inkyfada ou la radio Mosaïque FM, ont déjà frôlé la faillite ces derniers mois, et des fermetures pourraient survenir si les pressions persistent. Sur la scène internationale, cette dérive suscite des réactions vives, l’Union européenne, principal partenaire économique de Tunis, a conditionné ses aides futures au respect des droits humains, tandis que les États-Unis ont gelé une partie de leur assistance militaire en signe de protestation.
 
                                                                     
							

























