En Algérie, certaines banques privées jouent à un jeu dangereux : elles exhibent des profits mirobolants, versent des dividendes faramineux à leurs actionnaires, puis se présentent les mains tendues pour quémander des recapitalisations. Entre ostentation et fragilité, le secteur bancaire privé ressemble à une farce à un milliard de dollars, où le spectacle des richesses cache des bilans crevés et une gouvernance en lambeaux. Derrière les chiffres clinquants, se cache une réalité inquiétante : ces banques distribuent plus qu’elles ne peuvent se le permettre, flirtant avec le rouge et risquant d’entraîner tout le système financier dans leur chute.
Les chiffres donnent le vertige, Trust Bank reverse 84,1 % de ses bénéfices, Citibank 74,5 %, El Baraka 64,4 %. Des ratios non seulement excessifs, mais presque lunaires, loin des 30 à 50 % pratiqués par les banques sérieuses à travers le monde. Pendant ce temps, les réserves internes se réduisent à peau de chagrin : 6,8 % de la performance sectorielle, parfois moins, vidées pour maintenir l’illusion d’une prospérité sans faille. Ces banques ne gèrent pas : elles jonglent, maladroitement, avec l’argent qu’elles n’ont pas. Chaque dividende versé est un feu d’artifice qui masque un vide inquiétant.
Comme le souligne Finabi Conseil : « Les banques distribuent trop et se fragilisent, puis demandent à leurs actionnaires de recapitaliser pour combler les insuffisances. » Fransa Bank, Arab Bank, et même ABC Bank, la prétendue « bonne élève », ont dû solliciter des fonds pour éviter de sombrer. Un numéro de cirque financier : les actionnaires, transformés en vaches à lait, renflouent les caisses creusées par leur propre avidité. Pendant ce temps, les coûts de transaction s’accumulent et les observateurs assistent, mi-amusés mi-inquiets, à ce spectacle pathétique.
Le marché financier, incapable de jouer son rôle de soutien, laisse les banques enchaînées à leurs fondateurs historiques. Les émissions obligataires de Tosyali ou ALC ? Un flop retentissant. Le marché secondaire ? Un désert où même les vautours ne s’aventurent pas. Dans un pays où l’économie repose sur le pétrole, cette absence d’alternative est plus qu’un handicap : c’est une condamnation. Ces banques tournent en rond, prisonnières d’un modèle qui limite leur croissance et les expose à tous les vents contraires.
Ce manège absurde rappelle les dérives de 2008 : la quête de profits immédiats précipitant l’effondrement de géants bancaires. En Algérie, le secteur privé bancaire, adolescent turbulent, pourrait provoquer une crise nationale dès la moindre secousse économique ou chute du pétrole. Mais tant que les dividendes coulent à flot, qui s’en soucie ? L’illusion de prospérité persiste, tandis que les fondations du système vacillent dangereusement.
Finabi Conseil propose des mesures concrètes pour sortir le secteur bancaire privé algérien de ce cercle vicieux : limiter les dividendes à 40-60 % des bénéfices, planifier le capital sur plusieurs années en fonction des risques réels, protéger les réserves comme un trésor plutôt que de les transformer en tiroir-caisse pour des actionnaires insatiables, et réveiller la Bourse d’Alger afin de diversifier les financements et rompre la dépendance historique aux fondateurs. Mais pour que ces recommandations prennent vie, il faudrait une véritable révolution de la gouvernance et un coup de semonce de la Banque d’Algérie pour ramener ces apprentis sorciers à la raison.
Le diagnostic est brutal , le secteur bancaire privé algérien, avec ses dividendes records et ses appels au secours, joue à la roulette russe avec l’économie nationale. Cette farce, où l’on s’enrichit en façade pour mieux mendier en coulisses, révèle une immaturité criante. La maturité, la vraie, viendra le jour où ces banques cesseront de confondre leurs bilans avec un Monopoly et privilégieront la solidité à la poudre aux yeux.En attendant, elles dansent sur un volcan, et le public — clients, économie, nation — risque de payer les pots cassés.