Rangoun, 8 octobre 2025 – Dans la nuit du 6 au 7 octobre, les flammes des bougies du festival bouddhiste de Thadingyut, symbole ancestral de réconciliation et d’illumination spirituelle, se sont muées en enfer. À Chaung U, une petite ville de la région de Sagaing au cœur de la Birmanie, l’armée junte a lancé une attaque aérienne impitoyable contre une foule de plusieurs centaines de personnes. Ce qui devait être une veillée pacifique, mêlant prières et protestations contre le régime militaire, a tourné au carnage , plus de 40 morts, dont de nombreux enfants, et une quarantaine de blessés graves. Des témoins oculaires et Amnesty International dressent un tableau d’horreur absolue, relançant l’appel à une intervention internationale face à une répression qui ne connaît plus de limites.
Le festival de Thadingyut, célébré chaque année pour marquer la fin du carême bouddhiste et le retour du Bouddha sur terre, attire traditionnellement des processions de lanternes et de bougies allumées en signe de dévotion et de pardon. Mais depuis le coup d’État sanguinaire de février 2021, ces rites sacrés se sont mués en actes de défiance. À Chaung U, à la frontière avec Monywa, des familles entières – enfants inclus – s’étaient rassemblées pour une veillée aux chandelles. Leur message était clair : « Libérez les prisonniers politiques ! Arrêtez la conscription forcée ! Boycottez les élections truquées de décembre ! »
Vers 22 heures, le ciel s’est assombri non par les nuages, mais par le ronronnement discret d’un paramoteur motorisé – une arme de prédilection de l’armée birmane pour ses frappes « chirurgicales » nocturnes. Larguant des bombes artisanales sur la foule dense, l’attaque a duré à peine quelques minutes. « Les gens tenaient des bougies, priant en silence, et la minute suivante, ils étaient par terre, en morceaux », témoigne une organisatrice du comité local, la voix brisée lors des funérailles collectives du 7 octobre. « Des enfants ont été complètement déchiquetés. J’ai vu des mères hurler pour des corps impossibles à identifier. » La panique a été totale : seuls un tiers des participants ont pu s’échapper dans l’obscurité, fuyant vers les rizières environnantes.
Le bilan, encore provisoire mais déjà accablant, témoigne de l’ampleur du massacre : selon des témoins oculaires et des médias indépendants birmans comme Myanmar Now et The Irrawaddy, au moins 42 personnes ont perdu la vie, dont 12 enfants, et 38 autres ont été blessées, plusieurs luttant entre la vie et la mort dans des cliniques improvisées. Amnesty International, qui a recueilli des témoignages directs, confirme pour l’instant 17 à 20 morts, mais anticipe une hausse des chiffres à mesure que les corps sont identifiés. L’ONG fustige une « attaque indiscriminée contre des civils vulnérables », la qualifiant de crime de guerre potentiel. « La communauté internationale semble avoir tourné le dos à ce conflit, offrant à l’armée un boulevard pour ses atrocités impunies », tonne Joe Freeman, chercheur spécialiste de la Birmanie chez Amnesty, dans un communiqué publié ce matin.
Cette horreur n’est que la pointe de l’iceberg d’une répression qui, depuis le coup d’État de 2021, a déjà fauché plus de 5 000 vies civiles. À Chaung U, bastion de la résistance populaire, les lumières du festival n’ont pas illuminé la paix, mais révélé la brutalité d’un régime aux abois.
Ce bombardement n’est pas un accident isolé, mais le dernier chapitre d’une répression systématique orchestrée par le général Min Aung Hlaing, autoproclamé chef du Conseil d’administration de l’État depuis le putsch de 2021. En quatre ans, la junte a transformé la Birmanie en champ de bataille : plus de 5 000 civils tués, 3 millions de déplacés, et une économie en ruines. Sagaing, bastion des Forces de Défense du Peuple (PDF) – ces milices citoyennes nées de la résistance populaire –, est une cible privilégiée. Les paramoteurs, bon marché et indétectables, permettent à l’armée de frapper sans risquer ses hélicoptères, souvent abattus par les rebelles.
Thadingyut, avec sa symbolique de lumière dans les ténèbres, est devenu un rituel de résistance annuelle. Des veillées similaires se sont tenues dans tout le pays, mais celle de Chaung U est la plus meurtrière à ce jour. Le gouvernement en exil (NUG), reconnu par de nombreux pays occidentaux, a qualifié l’attaque de « crime contre l’humanité » et appelé à des sanctions renforcées contre les généraux. « Ces bouchers ne respectent même pas nos traditions les plus sacrées », a déclaré un porte-parole du NUG.
Malgré les preuves accablantes – vidéos, témoignages, analyses forensiques –, l’écho mondial reste faible. La Chine et la Russie, alliées de la junte, bloquent toute résolution ferme à l’ONU. Les États-Unis et l’Union européenne ont imposé des sanctions, mais elles peinent à ébranler un régime qui s’appuie sur le trafic d’armes et de drogue. Human Rights Watch et Amnesty rappellent que des missions de protection civile, comme celles déployées en Syrie ou au Yémen, pourraient sauver des vies. « Il est temps que le monde se réveille », insiste Joe Freeman. « Chaque jour d’inaction est une complicité. »
Sur le terrain, la résilience birmane persiste, malgré la peur, de nouvelles veillées sont prévues ce soir pour honorer les morts. Mais sans pression internationale accrue – embargo total sur les armes, accueil des réfugiés –, le cycle de violence risque de s’aggraver avec les élections fantoches de décembre.
La Birmanie, jadis « pays de l’or », saigne sous les bombes. Les lumières de Thadingyut n’ont pas suffi à percer l’obscurité cette année. Il est urgent que la communauté mondiale allume enfin sa propre flamme de solidarité.