Le 10 octobre 2025, un nouvel épisode vient confirmer la mainmise croissante de l’Algérie sur son voisin tunisien. À Alger, le président Abdelmadjid Tebboune a reçu le ministre tunisien de la Défense, Khaled Sehili, pour entériner un accord intergouvernemental de coopération militaire. Derrière les mots policés et les déclarations d’amitié, se cache un rapport de force inégal, révélateur de la stratégie algérienne d’influence régionale et de la dépendance croissante de la Tunisie à son puissant voisin.
L’entretien s’est tenu en présence du chef d’état-major de l’Armée nationale populaire (ANP), le général d’armée Saïd Chanegriha. Selon le communiqué officiel, les discussions ont porté sur la coordination face aux « menaces transfrontalières » et sur la nécessité d’une « concertation permanente ». L’accord, signé dans la foulée, a été présenté comme une avancée majeure dans les relations bilatérales. Pourtant, aucun détail concret n’a été révélé.
Cette opacité alimente les doutes. Depuis plusieurs années, Alger étend progressivement son influence militaire sur Tunis : transferts d’équipements, coopération sécuritaire accrue dans les zones frontalières, échanges d’informations, formation d’officiers tunisiens en Algérie. Autant d’éléments qui traduisent moins un partenariat équilibré qu’une tutelle de fait, où Tunis semble contraint d’accepter les règles dictées par Alger.
La visite de Khaled Sehili intervient alors que la Tunisie, étranglée par une crise économique persistante et un isolement diplomatique croissant, cherche désespérément des soutiens. Mais l’aide algérienne – financière, énergétique et désormais militaire – s’accompagne d’un prix : celui de la dépendance.
Les observateurs tunisiens s’inquiètent d’un glissement progressif vers une vassalisation politique et stratégique. Si la coopération sécuritaire entre les deux pays n’est pas nouvelle, sa formalisation à travers un accord de défense intergouvernemental traduit un changement d’échelle. L’Algérie, forte de son appareil militaire tentaculaire et de ses ambitions géopolitiques, impose désormais sa vision de la sécurité régionale à un partenaire affaibli. Pour Alger, cet accord est un outil d’affirmation régionale. Pour Tunis, c’est un aveu de vulnérabilité.
En consolidant un partenariat militaire avec la Tunisie, Alger cherche à façonner un axe sécuritaire maghrébin sous sa houlette, marginalisant le Maroc et affirmant son statut de puissance incontournable au Maghreb central. Le régime de Tebboune entend ainsi compenser son isolement diplomatique croissant et les tensions récurrentes avec Rabat, Nouakchott et Niamey.
Cette stratégie de repli sur des alliances forcées vise à projeter l’image d’une Algérie pivot de la stabilité régionale, alors même que ses relations avec la plupart de ses voisins sont au plus bas. « Ce n’est qu’un coup de communication interne destiné à masquer l’isolement régional du régime algérien », déclare le militant politique Chawki Ben Zahra. Selon lui, Alger utilise Tunis comme un levier de propagande pour redorer son image ternie à l’étranger.
Le discours officiel algérien, prononcé par le général Chanegriha, évoquait « la nécessité d’un travail commun selon une vision intégrée et clairvoyante ». Mais derrière cette rhétorique, peu d’analystes croient à une réelle égalité entre les deux partenaires. « Cet accord n’apporte rien de nouveau, la coopération militaire existe déjà depuis des années », explique Ben Zahra. « Il s’agit avant tout d’un geste symbolique pour renforcer la narration du régime algérien, qui cherche à se présenter comme un acteur régional influent et respecté. »
De fait, les aides algériennes à la Tunisie – livraisons de gaz à tarif préférentiel, prêts sans intérêts, soutien budgétaire – ont transformé la relation bilatérale en dépendance structurelle. L’armée tunisienne, affaiblie et sous-équipée, devient un instrument de cette asymétrie. Tunis, de plus en plus isolée sur la scène internationale, voit sa marge de manœuvre se réduire à mesure qu’elle s’enfonce dans la spirale d’un soutien algérien à double tranchant.
Ironie du sort, ni l’Algérie ni la Tunisie ne font aujourd’hui face à une menace extérieure majeure justifiant la signature d’un accord de défense d’une telle ampleur. Le terrorisme transfrontalier dans la région du mont Chaambi reste une préoccupation, mais il ne saurait expliquer à lui seul cette démonstration d’unité militaire.
Pour de nombreux observateurs, il s’agit avant tout d’un instrument politique destiné à renforcer l’image d’une Algérie leader régional face à un Maroc diplomatiquement actif et à une Libye encore instable. L’objectif n’est pas tant la défense commune que la consolidation d’une influence.
À mesure que la Tunisie s’enfonce dans la crise, la domination algérienne s’affirme. Sur le plan économique, Alger a déjà pris une place prépondérante. Sur le plan militaire, le rapprochement scellé à Alger officialise ce qui était déjà une réalité : la dépendance stratégique tunisienne.
Dans les faits, l’accord de défense marque une étape supplémentaire dans la construction d’une architecture régionale centrée sur Alger, où la Tunisie n’apparaît plus comme un partenaire, mais comme un satellite. Une politique de puissance déguisée en solidarité, un jeu d’équilibre où la Tunisie, affaiblie, n’a plus les moyens de refuser.
Sous couvert de coopération, c’est bien une logique de domination qui se dessine. L’accord signé entre l’Algérie et la Tunisie n’est pas seulement un traité militaire : il est le symbole d’un rapport de dépendance structurelle, d’une influence imposée sous le vernis de la fraternité maghrébine.
L’Algérie, en quête de légitimité régionale et internationale, instrumentalise la Tunisie pour mieux se projeter comme puissance pivot du Maghreb. Mais cette stratégie, fondée sur la contrainte plus que sur la confiance, risque de fragiliser encore davantage la cohésion régionale et de réduire la souveraineté tunisienne à une simple variable d’ajustement de la politique étrangère d’Alger.
Ainsi, derrière le discours de la solidarité, se dessine une réalité moins glorieuse, celle d’un Maghreb où la coopération se confond de plus en plus avec la sujétion.