13 octobre 2025, Alger – Lors d’une journée d’étude organisée sous l’égide de la fondation Konrad Adenauer, l’ambassadeur de l’Union européenne en Algérie, Diego Mellado Pascua, a présenté le « nouveau pacte pour la Méditerranée ». Dans un contexte géopolitique marqué par des recompositions stratégiques accélérées et des rivalités multipolaires exacerbées, ce pacte se veut une tentative de réhabiliter une relation bilatérale gangrenée par deux décennies d’asymétrie. Prévu pour adoption fin novembre 2025, coïncidant avec le trentième anniversaire de la Déclaration de Barcelone, il est présenté comme un partenariat d’« égal à égal », censé transformer la Méditerranée en un havre de stabilité, de prospérité et de sécurité partagées. Pourtant, loin d’être une panacée, ce pacte n’être qu’une chimère, un habillage rhétorique destiné à perpétuer la dépendance économique et stratégique de l’Algérie, tout en servant les intérêts géopolitiques d’une Europe en crise et en quête de contrôle.
Pour saisir l’ampleur du scepticisme que suscite ce nouveau pacte, il convient de revisiter l’accord d’association Algérie-UE, signé en 2002 et entré en vigueur en 2005. Présenté à l’époque comme un tremplin vers une zone de libre-échange mutuellement bénéfique, cet accord s’est révélé être un marché de dupes pour l’Algérie.
Les chiffres sont éloquents, avec un Produit National Brut (PNB) de l’UE cent fois supérieur à celui de l’Algérie (18 000 milliards d’euros contre environ 180 milliards en 2024), l’asymétrie structurelle était inscrite dès le départ. L’UE absorbe 55 % du commerce extérieur algérien, tandis que l’Algérie ne représente qu’un infime 0,8 % des échanges européens. Cette disproportion a engendré un déficit commercial chronique pour Alger, avec des importations européennes culminant à 220 milliards de dollars entre 2005 et 2015, contre à peine 14 milliards pour les exportations non hydrocarbonifères.
L’ouverture des frontières algériennes aux produits industriels européens a eu des effets délétères : la suppression progressive des barrières tarifaires a provoqué un manque à gagner fiscal colossal, privant l’État de recettes essentielles pour financer sa diversification économique. Pire encore, cette libéralisation a accéléré une désindustrialisation rampante : les produits européens, souvent subventionnés et vendus à prix cassés, ont asphyxié un secteur manufacturier déjà fragilisé par des décennies de sous-investissement.
Comme le souligne le professeur Moussa Boukrif de l’université de Béjaïa, l’accord n’a généré ni investissements directs étrangers (IDE) significatifs – 13 milliards de dollars cumulés entre 2005 et 2023, presque exclusivement dans le secteur énergétique –, ni emplois durables, ni croissance économique tangible. Les exportations algériennes, dominées à 95 % par les hydrocarbures, ont verrouillé le pays dans une dépendance quasi coloniale vis-à-vis de l’Europe, réduisant son économie à un rôle de fournisseur de matières premières.
L’UE, de son côté, se plaint d’une réduction de ses exportations vers l’Algérie, passées de 25 à 13 milliards d’euros en moins d’une décennie. Diego Mellado Pascua dénonce une « circulation non fluide » des marchandises, imputant implicitement la responsabilité à l’Algérie. Mais cette critique élude une vérité fondamentale : les barrières mises en place, bien que perfectibles, sont une tentative de protéger une économie exsangue face à une concurrence européenne écrasante. L’accord d’association, loin d’être un partenariat, s’est mué en instrument d’hégémonie économique, où l’Algérie a payé le prix fort pour une intégration unilatérale au marché européen.
Face à ce bilan désastreux, le nouveau pacte pour la Méditerranée se veut une réponse audacieuse, un « message clair » aux partenaires du Sud pour réinvestir la région et délaisser les marchés asiatiques, selon Mellado Pascua. Ce cadre, reposant sur des rencontres de haut niveau et un dialogue bilatéral élargi, inclut des observateurs comme certains pays des Balkans et ambitionne de renforcer les infrastructures – ports, aéroports, énergie verte, gaz – tout en facilitant la mobilité.
Mais sous nom de modernité, le pacte peine à dissimuler sa véritable nature : un prolongement des dynamiques inégalitaires de l’accord précédent, drapé dans une rhétorique de partenariat. L’UE, fragilisée par la crise énergétique post-ukrainienne et la montée des rivalités sino-russes, voit en l’Algérie un atout stratégique. Le gaz algérien, représentant 13 % des importations gazières européennes, et le potentiel de l’hydrogène vert sont des priorités pour Bruxelles. Mais où est la réciprocité ? Le pacte reste flou sur les mécanismes concrets pour corriger l’asymétrie , aucune clause contraignante n’est prévue pour encourager les IDE européens hors hydrocarbures, ni pour compenser les pertes fiscales algériennes accumulées depuis 2005. Les promesses d’investissements risquent de se limiter à des projets énergétiques au service des besoins européens, sans effet structurant sur l’économie algérienne.
Face à cette Europe qui promet beaucoup mais délivre peu, L’Algérie multiplie les annonces de partenariats avec la Chine, la Russie, les BRICS, la Turquie et l’Afrique subsaharienne, tout en évoquant une adhésion à la Nouvelle Banque de Développement (NDB), un renforcement des liens avec l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) et une participation à la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf). Pourtant, cette vitrine diplomatique peine à masquer une réalité bien plus crue : ces initiatives n’ont pas transformé l’économie nationale ni brisé la dépendance historique vis-à-vis de l’Europe. Les hydrocarbures continuent de dominer les revenus, l’industrie reste atone et les investissements directs étrangers (IDE) hors secteur énergétique demeurent marginaux.
Le « nouveau pacte pour la Méditerranée » s’inscrit dans cette même dynamique : une opération de communication qui travestit en partenariat des relations fondamentalement inégalitaires. Malgré les discours sur la diversification et le virage multipolaire, l’Algérie reste engluée dans une asymétrie structurelle jamais remise en cause. Cette agitation diplomatique révèle l’échec patent d’une stratégie longtemps présentée comme prometteuse , ni le pacte avec l’UE, ni le pivot vers l’Est ou le Sud n’ont permis de concrétiser une souveraineté économique ou géopolitique réelle. Les annonces se succèdent, mais la réalité demeure inchangée, l’Algérie, malgré ses proclamations d’autonomie, reste un acteur subalterne, prisonnière des mêmes dynamiques d’asymétrie sur l’échiquier international. inchangée : l’Algérie, malgré ses ambitions d’autonomie, demeure un acteur subalterne sur la scène internationale.