La contestation s’intensifie à Gabès, au sud-est de la Tunisie. Dans la nuit de vendredi à samedi, des dizaines de manifestants ont été arrêtés par les forces de sécurité après plusieurs jours de mobilisation contre une usine chimique accusée d’empoisonner la région.
Selon des avocats et le collectif local Stop Pollution, plus d’une centaine de personnes auraient été placées en garde à vue. Les interpellations ont principalement visé les protestataires sortis la nuit, moment où les rassemblements pacifiques ont parfois dégénéré en affrontements avec les forces de l’ordre et en incendies de pneus.
« Les arrestations ont ciblé les manifestants nocturnes », a indiqué l’avocat Mehdi Talmoudi, soulignant que les marches diurnes s’étaient déroulées dans le calme.
Depuis mercredi, des milliers d’habitants de Gabès sont descendus dans la rue après la diffusion de vidéos montrant des élèves victimes de malaises en raison de la pollution. Cette mobilisation, d’une ampleur inédite depuis plusieurs années, vise à obtenir la fermeture du complexe chimique construit dans les années 1970 et utilisant de l’acide sulfurique et de l’ammoniac pour transformer le phosphate.
Pour les habitants, ce complexe industriel est devenu un symbole de la négligence environnementale du pays. Ils l’accusent d’avoir durablement contaminé les sols, les eaux et l’air, provoquant des maladies respiratoires et des cas d’intoxication à répétition.
D’après les autorités locales, près de 200 habitants des quartiers proches auraient été soignés pour des « intoxications » en un mois seulement. Des témoignages évoquent aussi une augmentation des gaz toxiques rejetés et même la présence de déchets radioactifs dans la mer.
Les autorités tunisiennes avaient promis dès 2017 de démanteler ce complexe vieillissant et de le remplacer par une installation conforme aux normes internationales. Mais ces engagements n’ont jamais été suivis d’effets.
L’exploitation du phosphate, principale richesse naturelle du pays, demeure un pilier stratégique de l’économie nationale. Le président Kaïs Saïed a même annoncé vouloir quintupler la production d’engrais d’ici 2030, profitant de la flambée mondiale des prix.
Face à la montée de la colère, le président Saïed a convoqué samedi deux responsables parlementaires pour aborder la situation environnementale à Gabès. Dans un communiqué, la présidence a assuré que des travaux étaient en cours pour trouver « des solutions urgentes » à la crise.
Mais le chef de l’État a également dénoncé des « conspirateurs » qui chercheraient à exploiter la situation à des fins politiques, accusant certains manifestants d’avoir été « arrosés d’argent étranger ». Une rhétorique qui, selon plusieurs observateurs, illustre la difficulté du pouvoir tunisien à concilier gestion environnementale, maintien de l’ordre et préservation d’un secteur industriel vital.
À Gabès, la population reste, elle, déterminée. « Nous voulons simplement respirer un air sain et vivre dignement », confie un habitant. Le cri d’alarme écologique de cette ville côtière, longtemps ignoré, semble désormais impossible à étouffer.