Le 13 mars 2025, l’Algérie s’est offert une nouvelle lubie économique : faire du marbre le sauveur d’une nation en mal de devises et d’emplois. Lors du Conseil des ministres, Abdelmadjid Tebboune a décrété la fin des importations de plaques finies, ordonné une « structuration » du secteur et lancé un appel aux investissements massifs, le tout saupoudré d’une collaboration avec des « leaders internationaux ». Sur le papier, c’est un conte de fées industriel. Dans la réalité, ça ressemble davantage à un château de sable face à la marée des contraintes économiques. Décryptage d’un pari qui sent plus la poudre aux yeux que la poudre de marbre.
L’Algérie a du marbre, ça, personne ne le nie. Des carrières qui dorment sous le soleil, des couleurs qui feraient pâlir d’envie les décorateurs branchés de Milan. Mais entre le potentiel brut et une industrie florissante, il y a un gouffre que Tebboune semble vouloir combler avec des mots ronflants. Interdire les importations ? Très bien, mais quand votre production locale patauge dans l’amateurisme – machines obsolètes, ouvriers sous-formés, logistique en carton –, c’est comme interdire les parachutes avant d’avoir appris à voler. Le BTP, pilier de l’économie, risque de se retrouver à construire des immeubles en Lego faute de plaques disponibles.
Et puis, il y a cette idée géniale de « relever prudemment le seuil d’investissement ». Prudemment ? Avec quel argent, au juste ? Les caisses de l’État, vidées par des décennies de dépendance au pétrole, ne semblent pas prêtes à financer cette révolution minérale. Quant aux investisseurs privés, ils ne vont pas se ruer sur un secteur où le retour sur investissement ressemble à une loterie sans gagnant. Ajoutez à cela des partenariats internationaux – comprendre : des sauveurs étrangers qui viendront nous apprendre à couper la pierre – et vous obtenez une recette où l’Algérie risque de jouer les apprenants éternels plutôt que les maîtres d’œuvre.
Le discours officiel vend du rêve : le marbre va remplir les poches de devises et les jeunes chômeurs auront enfin un avenir. Sauf que pour exporter, il faut d’abord produire quelque chose de vendable. Or, transformer des blocs bruts en plaques polies qui séduisent les marchés mondiaux demande des années, des millions et une expertise que l’Algérie n’a pas encore. En attendant, l’interdiction des importations va surtout gonfler les prix locaux, pénaliser les petits entrepreneurs et faire grincer des dents une population déjà à bout de patience.
Quant à l’emploi, l’idée est jolie sur le papier. Des hordes de jeunes taillant la pierre dans les carrières de Tébessa ou Skikda, c’est presque poétique. Mais sans formation, sans outils modernes et sans un marché stable, ces emplois risquent de se limiter à des contrats précaires ou à des illusions statistiques pour les discours officiels. Le marbre, un « pourvoyeur d’emplois » ? Peut-être, mais pour l’instant, il pourvoit surtout en espoirs fragiles.
Tebboune veut sculpter une nouvelle Algérie, et on ne peut pas lui reprocher de rêver grand. Mais entre la vision et l’exécution, il y a un abîme que ce plan ne semble pas prêt à franchir. Structurer un secteur « ancien et stratégique » sans un sou en poche ni un calendrier clair, c’est comme demander à un sculpteur aveugle de tailler un chef-d’œuvre avec un cure-dent. Les partenariats internationaux ? Une béquille bienvenue, mais qui risque de coûter cher en souveraineté. L’interdiction des importations ? Un coup de bluff qui pourrait se retourner contre une économie déjà bancale.
L’Algérie veut faire de son marbre un étendard de renouveau économique, et l’intention est louable. Mais ce projet sent la précipitation et l’improvisation. Sans investissements massifs, sans stratégie cohérente et sans réalisme, cette belle pierre risque de n’être qu’un caillou de plus dans la chaussure d’un pays qui mérite mieux que des annonces en trompe-l’œil..