Dans un climat de crispations persistantes au Tigré, les autorités fédérales éthiopiennes tentent une nouvelle approche pour préserver la paix fragile instaurée depuis la fin du conflit armé : confier les rênes de l’administration régionale à une figure militaire respectée. Le lieutenant-général Tadesse Werede, chef des forces de défense tigréennes (TDF), a ainsi été nommé président de l’administration intérimaire de la région.
Cette nomination, annoncée officiellement par le Premier ministre Abiy Ahmed, marque un tournant important dans le processus de stabilisation engagé après l’accord de paix signé à Pretoria en novembre 2022. Officier chevronné, vétéran de la lutte contre le régime du Derg, Tadesse Werede incarne une certaine neutralité dans un paysage politique tigréen profondément divisé. Bien qu’il ait été l’adjoint du président sortant Getachew Reda, il a su garder ses distances dans les querelles internes qui secouent le Front de libération du peuple du Tigré (TPLF).
« Il comprend bien les forces et les faiblesses de l’administration précédente, et beaucoup pensent qu’il est bien placé pour guider le Tigré dans cette transition critique », a déclaré Abiy Ahmed. L’autorité de Tadesse, renforcée par son passé militaire et son expérience au sein des missions de maintien de la paix de l’ONU, devrait contribuer à faire baisser les tensions et à restaurer un semblant d’ordre.
Le TPLF, longtemps au sommet du pouvoir en Éthiopie, traverse une crise sans précédent. L’unité de ses cadres dirigeants a été mise à mal par la lenteur de la reconstruction post-conflit et par les rivalités de pouvoir internes. La situation a dégénéré début mars lorsque Getachew Reda a tenté d’évincer plusieurs officiers des TDF, accusés de comploter contre lui. En réaction, des factions proches de l’ancien chef Debretsion Gebremichael ont pris le contrôle d’Adigrat et de Mekele, défiant l’autorité de l’administration intérimaire.
Ce regain de tensions a mis en péril les progrès réalisés depuis l’accord de paix. Le retour d’un million de déplacés, le désarmement progressif et l’organisation d’élections régionales sont autant de chantiers retardés, alimentant frustrations et défiance. Le spectre d’un nouvel affrontement interne n’est plus une simple hypothèse, et c’est dans ce contexte explosif que Tadesse Werede hérite d’une région en quête de stabilité.
Né en 1958 à Mekele, Tadesse Werede a consacré sa vie à la défense de sa région. Après avoir combattu dans les rangs rebelles contre la junte militaire du Derg, il a progressivement grimpé les échelons du pouvoir. Son expérience au sein de l’ONU entre 2011 et 2013, en tant que commandant de la force de maintien de la paix pour la région contestée d’Abyei entre le Soudan et le Soudan du Sud, lui a permis de consolider sa réputation d’homme de dialogue et de médiation. Bien qu’il ait été vice-président de l’administration intérimaire, il est resté à l’écart des querelles internes au sein du TPLF, se positionnant comme un acteur qui vise à apaiser plutôt qu’à exacerber les tensions.
Aujourd’hui, alors qu’il prend la tête de l’administration intérimaire du Tigré, son défi sera de restaurer la confiance, non seulement au sein du TPLF mais également entre les différentes factions de la région, tout en suivant les lignes directrices de l’accord de paix de Pretoria. Un travail de longue haleine, où la gestion de la transition politique et du retour des déplacés sera cruciale pour éviter de nouveaux affrontements.