Le mardi 22 juillet 2025, le président algérien Abdelmadjid Tebboune a entamé une visite officielle en Italie, sa deuxième depuis mai 2022, avec pour objectif affiché de renforcer les relations bilatérales, en particulier dans le secteur gazier. Depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, Rome est en effet devenu le principal client européen d’Alger, avec des volumes de gaz exportés passant de 21 à 25 milliards de mètres cubes entre 2021 et 2023, grâce aux accords conclus avec le groupe italien Eni.
Cependant, au-delà de ces chiffres encourageants, cette visite illustre surtout les limites d’une diplomatie algérienne focalisée quasi exclusivement sur l’exportation d’hydrocarbures. Aucun signal fort n’a émergé concernant les questions structurantes du moment, telles que la transition énergétique, la souveraineté industrielle ou l’intégration régionale. Le déplacement s’est ainsi déroulé sans feuille de route commune, ni mécanisme concret de suivi, et sans indication claire vers des partenariats d’avenir.
Accueilli par la Première ministre italienne Giorgia Meloni dans le cadre du cinquième sommet intergouvernemental italo-algérien, le chef de l’État algérien a vanté une relation « solide et historique », scellée par une série d’accords dans les secteurs de l’énergie, du numérique, de la sécurité et de la lutte contre l’immigration clandestine. En apparence, tout semble au beau fixe. Mais derrière les déclarations d’intention se cachent des signaux moins reluisants.
La coopération énergétique est, sans surprise, le cœur battant du partenariat. Depuis l’invasion russe de l’Ukraine, l’Italie a fait de l’Algérie son principal fournisseur de gaz, multipliant les accords avec Sonatrach pour sécuriser ses approvisionnements. Le sommet a vu l’annonce d’un renforcement de la coopération entre le géant algérien et ENI, illustré notamment par un contrat de « partage de production » d’hydrocarbures signé début juillet, pour un montant de 1,35 milliard de dollars.
Rome veut faire de l’Italie la « porte d’entrée de l’énergie africaine vers l’Europe », comme l’a affirmé Giorgia Meloni. Mais cette ambition se fait à sens unique : si l’Italie diversifie ses sources, l’Algérie, elle, reste enfermée dans son rôle de fournisseur de matières premières, sans diversification ni transformation industrielle. Aucun projet d’innovation technologique, de transition énergétique ou de valorisation locale n’a été annoncé. L’économie algérienne, centrée sur la rente, continue d’évoluer sans cap clair ni vision de long terme.
Le sommet a également vu la signature d’accords dans le domaine de la défense, du contre-terrorisme et de la gestion des flux migratoires. Rome cherche à verrouiller la Méditerranée centrale et compte sur Alger comme rempart sécuritaire. Mais là encore, la relation repose sur un déséquilibre : l’Italie dicte l’agenda, l’Algérie suit, sans infléchir les termes du partenariat. La coopération n’est pas symétrique, elle est utilitaire.
Si les images officielles ont montré une poignée de main chaleureuse entre Tebboune et Meloni à la Villa Doria Pamphilj, la réalité diplomatique est plus grinçante. Le président algérien n’a pas été reçu par son homologue Sergio Mattarella ni initialement par Meloni elle-même, mais par le ministre de la Défense, Guido Crosetto — un fait inhabituel pour un chef d’État en visite. Aucun garde d’honneur présidentiel, aucune cérémonie officielle : un détail ? Non, un signal clair. Deux jours auparavant, la même Meloni avait réservé un accueil d’État au président égyptien Abdel Fattah al-Sissi. L’Algérie, elle, a été reléguée à un statut de partenaire secondaire, bon pour le gaz, mais sans influence diplomatique réelle.
À l’extérieur, la visite a été marquée par des manifestations de la diaspora algérienne, dénonçant le régime militaire et réclamant un État civil. Les slogans contre Tebboune – qualifié d’ »imposteur » – ont rappelé la persistance du Hirak et l’ampleur du divorce entre la diaspora et le pouvoir en place. L’image du chef de l’État algérien, censé être en opération de charme, s’en est trouvée ternie.
Ce rapprochement avec l’Italie intervient dans un contexte de crise ouverte avec la France, marquée depuis 2024 par une série d’expulsions diplomatiques, un gel des coopérations et une rhétorique agressive. Alger, en mal de partenaires occidentaux fiables, semble désormais chercher des alliances par défaut plus que par choix.
Si la rencontre a été présentée comme un sommet stratégique, elle apparaît, au final, comme un exercice de communication creux. Aucun mécanisme de suivi, aucune feuille de route ambitieuse, aucun cap clair. Le déplacement s’est conclu sur une rencontre prévue avec le pape Léon XIV, dont les origines augustiniennes ont été instrumentalisées à des fins symboliques — preuve supplémentaire que le pouvoir algérien préfère le registre symbolique à celui des réformes concrètes.
La visite d’Abdelmadjid Tebboune à Rome sonne comme un miroir aux alouettes : affichage de cordialité, contrats énergétiques réchauffés, mais absence criante de profondeur stratégique. L’Italie y voit un fournisseur fiable ; l’Algérie y cherche une reconnaissance qu’elle n’obtient plus. La politique étrangère algérienne donne l’image d’un pays à la recherche de stature, mais prisonnier de ses propres contradictions : rentier sans projet, partenaire sans influence, État sans vision claire.