À l’approche des élections présidentielles en Tanzanie, la disparition de Humphrey Polipule, ancien ambassadeur à Cuba, continue de semer la confusion et l’inquiétude. Enlevé le 6 octobre dans des circonstances troubles, son sort reste incertain, alimentant des récits contradictoires entre sources officielles et défenseurs des droits humains. Cet événement met en lumière les tensions croissantes dans un pays en proie à une dérive autoritaire.
Le 6 octobre à l’aube, des hommes armés ont fait irruption au domicile de Polipule, situé dans un quartier aisé de Dar es-Salaam. Selon des images diffusées par son frère, Godfrey, les indices sur place – portes fracturées, clôture électrique détruite, traces de sang – suggèrent une opération planifiée avec précision. Aucun vol n’a été signalé, renforçant l’hypothèse d’un enlèvement ciblé.
Des sources militaires, citées par The Africa Report, affirment que Polipule aurait succombé à ses blessures peu après son enlèvement. À l’inverse, des activistes des droits humains soutiennent qu’il serait toujours en vie, détenu dans une base militaire secrète. Ces versions divergentes alimentent les spéculations et soulignent l’opacité entourant l’affaire.
Humphrey Polipule, ancien cadre du Chama Cha Mapinduzi (CCM), le parti au pouvoir, avait marqué les esprits en quittant son poste d’ambassadeur en juillet 2025. Il avait publiquement dénoncé la corruption et la « capture de l’État » par des élites proches du pouvoir, visant directement la présidente Samia Suluhu Hassan. Ses critiques, venant d’un ancien loyaliste, avaient ébranlé le régime.
L’enlèvement de Polipule survient dans un contexte tendu, deux jours après les déclarations explosives du capitaine John Charles Tesha. Ce dernier, dans une vidéo virale, accusait le gouvernement de corruption et d’atteintes aux libertés, appelant à suspendre les élections. Pour Maria Sarungi, militante des droits humains, « l’élimination simultanée de Polipule et Tesha vise à étouffer toute dissidence interne ».
La disparition de Polipule s’inscrit dans une série d’enlèvements ciblant opposants, journalistes et militants. La Coalition tanzanienne des défenseurs des droits humains (THDRC) recense plus de 100 cas similaires depuis 2023. Le parti d’opposition Chadema rapporte que 15 de ses membres ont été enlevés dans la semaine précédant l’incident.
« Le régime utilise la peur comme arme pour imposer le silence », déclare un responsable de Chadema sous anonymat. Cette répression semble traduire une paranoïa croissante au sein du CCM, qui craint des dissensions internes à l’approche du scrutin.
La présidente Samia Suluhu Hassan reste muette face à l’affaire, tandis que la police, par la voix de David Misime, évoque une enquête « en cours » sans progrès tangible. La mère de Polipule, Annamary, a lancé un appel déchirant : « Mon fils a servi ce pays. Rendez-le-moi, mort ou vivant. »
Une requête judiciaire déposée le 9 octobre, exigeant la présentation de Polipule ou sa libération, est restée sans réponse. Depuis le retrait de la Tanzanie de la Cour africaine des droits de l’homme en 2019, les recours juridiques internationaux sont limités, laissant les citoyens sans protection face à l’arbitraire.
Face à l’inaction des autorités, la société civile se mobilise. Le Forum des éditeurs tanzaniens (TEF) exige des réponses claires. Sur les réseaux sociaux, le hashtag #WhereIsPolipule a dépassé le million de mentions, porté par des voix comme celle de Maria Sarungi. Religieux, avocats et artistes dénoncent une dérive autoritaire qui menace la démocratie tanzanienne.
Dans les rues de Dar es-Salaam, la colère monte. « Si un ancien ambassadeur peut disparaître, que reste-t-il pour nous ? » s’interroge un habitant de Kinondoni. Cette affaire transforme la peur en défi, alors que la population commence à briser le silence.
À deux semaines des élections, l’enlèvement de Polipule cristallise les craintes d’un régime prêt à tout pour se maintenir. Entre répression, censure et disparitions, la Tanzanie, autrefois modèle de stabilité, s’enfonce dans l’incertitude. « Polipule est devenu un symbole », affirme l’avocat exilé Tito Magoti. « Sa disparition révèle une vérité que le pouvoir veut cacher, mais qu’il ne peut plus contenir. »