Un rapprochement inédit entre deux anciennes forces rivales est en cours dans le nord de la Syrie. Ce samedi, les forces des nouvelles autorités syriennes se sont déployées autour du barrage de Tichrine, une infrastructure essentielle située à proximité de la ville de Manbij, dans la province d’Alep. Cette avancée fait suite à un accord conclu entre Damas et l’administration autonome kurde, ont rapporté les médias officiels syriens.
Le barrage de Tichrine, d’une importance stratégique capitale, est contrôlé depuis plusieurs années par les Forces démocratiques syriennes (FDS), alliance dominée par les forces kurdes et appuyée par Washington. Ces dernières gèrent de vastes territoires dans le nord et l’est de la Syrie, y compris des zones riches en ressources hydrauliques et pétrolières.
Selon une source kurde contactée par l’AFP, l’accord a été établi sous la supervision de la coalition internationale antidjihadiste, menée par les États-Unis. Il stipule que l’administration civile du barrage restera entre les mains des Kurdes, mais que la sécurité sera assurée conjointement par les FDS et les forces de l’État syrien. Une force mixte est donc en cours de formation pour garantir la stabilité autour de l’installation.
L’agence de presse officielle syrienne, Sana, a confirmé « le début de l’entrée des forces de l’Armée arabe syrienne et des forces de sécurité dans la région du barrage de Tichrine », invoquant la nécessité de « faire régner la sécurité et de protéger une infrastructure essentielle à la population syrienne ».
Outre la coopération locale, cet accord vise également à faire face aux menaces extérieures. La source kurde évoque notamment les groupes armés soutenus par Ankara, qui seraient actifs dans la région et qui, selon elle, « tentent d’entraver la mise en œuvre de l’accord ». Il est ainsi prévu que ces factions se retirent progressivement de la zone, afin de permettre à la force conjointe syro-kurde de prendre le contrôle du secteur sans heurts.
Ce point est particulièrement sensible, alors que la Turquie continue de considérer les FDS comme une menace sécuritaire directe, en raison de leurs liens présumés avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), qu’Ankara qualifie d’organisation terroriste. En décembre dernier, quelques jours après l’arrivée au pouvoir à Damas d’un gouvernement islamiste, des frappes de drones turcs ont visé la zone du barrage, provoquant la mort de dizaines de civils, selon les FDS et l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH).
L’accord militaire autour du barrage s’inscrit dans un cadre plus vaste. En mars dernier, un accord bilatéral a été signé entre le président syrien Ahmad al-Chareh et le commandant en chef des FDS, Mazloum Abdi. Il marque une volonté d’amorcer une réintégration progressive des institutions de l’administration autonome kurde au sein de l’État syrien.
Ce processus, encore flou dans ses modalités, traduit une évolution notable du paysage politique syrien. Alors que les Kurdes ont longtemps été marginalisés par le régime central et qu’ils ont, ces dernières années, développé une administration quasi-indépendante, ce rapprochement témoigne d’une volonté commune de réduire les lignes de fracture internes, sous la pression des réalités géopolitiques.
La valeur du barrage de Tichrine dépasse largement le cadre local. Construit sur l’Euphrate, il fournit de l’électricité à plusieurs provinces syriennes, dans un pays profondément affecté par la crise énergétique. Sa sécurisation constitue donc un enjeu vital, tant pour la stabilité du réseau électrique que pour la relance économique locale.
Par ailleurs, la position du barrage en fait une porte d’entrée naturelle vers l’est de l’Euphrate, une région toujours sous contrôle de l’administration kurde. Ce point géographique crucial en fait un objet de convoitise pour les différentes forces en présence : Damas, les FDS, la Turquie, mais aussi des groupes armés indépendants cherchant à asseoir leur pouvoir dans une zone morcelée.