Doha, 17 avril 2025 — Pour la première fois depuis la chute du régime de Bachar el-Assad, le Premier ministre irakien, Mohamed Chia al-Soudani, a rencontré le président syrien par intérim, Ahmad el-Chareh, en marge d’une visite rapide à Doha, capitale du Qatar. Une entrevue aussi inédite que symbolique, rapportée jeudi par l’agence de presse officielle irakienne INA.
Selon cette source, la rencontre tripartite a réuni le chef du gouvernement irakien, l’émir du Qatar, cheikh Tamim ben Hamad Al-Thani, et le dirigeant syrien de transition, dans un contexte régional marqué par une forte instabilité, notamment en Syrie où les récents bouleversements politiques inquiètent nombre de chancelleries.
La rencontre, dont la date exacte n’a pas été précisée, aurait été motivée par « les événements en cours dans la région », et notamment « la situation syrienne », selon une source proche du gouvernement irakien.
M. Soudani a profité de cet échange pour réaffirmer la position officielle de l’Irak, appelant à « un processus politique inclusif » en Syrie, ainsi qu’à « la protection des communautés et de la diversité sociale et religieuse », dans un pays encore profondément fracturé après des années de guerre civile.
Depuis l’arrivée au pouvoir à Damas, en décembre, d’un gouvernement dominé par des factions islamistes sunnites et dirigé par Ahmad el-Chareh, Bagdad adopte une posture mesurée, voire distante. L’ombre des conflits confessionnels qui ont ravagé l’Irak dans les années 2000 et l’influence persistante de milices chiites pro-iraniennes pèsent lourdement sur les choix diplomatiques de la capitale irakienne.
À quelques semaines du sommet de la Ligue arabe prévu à Bagdad à la mi-mai, le Premier ministre irakien a toutefois choisi d’envoyer un signal en invitant officiellement Ahmad el-Chareh à y participer. Un geste qui pourrait ouvrir la voie à une normalisation prudente entre les deux voisins, tout en exposant Soudani à de vives critiques internes.
Mi-mars déjà, le chef de la diplomatie syrienne Asaad al-Chaibani s’était rendu à Bagdad pour discuter du renforcement des relations économiques bilatérales, signalant une volonté de relancer les échanges malgré les tensions politiques.
L’éventuelle reconnaissance de M. Chareh par Bagdad ne va toutefois pas de soi. Ancien membre d’Al-Qaïda, emprisonné en Irak après l’invasion américaine de 2003, le président intérimaire syrien traîne un lourd passif. Ce passé alimente une virulente opposition chez les milices chiites irakiennes proches de l’Iran, qui ont historiquement soutenu Bachar el-Assad contre les insurgés islamistes pendant la guerre civile syrienne.
Ces groupes, toujours influents dans le paysage politique irakien, n’ont pas manqué de faire entendre leur hostilité à tout rapprochement avec l’actuelle administration syrienne. Sur les réseaux sociaux, leurs partisans dénoncent un « virage dangereux » qui mettrait en péril les équilibres internes de l’Irak.
Cette rencontre à Doha témoigne d’un ajustement diplomatique en cours dans la région, où les lignes de fracture issues des printemps arabes et des guerres par procuration laissent place à des tentatives de recomposition. L’Irak, en position de pont entre les blocs sunnite et chiite, cherche visiblement à jouer un rôle de médiateur, tout en ménageant ses propres fragilités internes.
Reste à savoir si cette ouverture vers la Syrie de Chareh est un simple geste protocolaire ou le début d’un dialogue stratégique plus profond. Dans tous les cas, le sommet de la Ligue arabe en mai pourrait être un révélateur de la nouvelle posture de l’Irak face à ses voisins fracturés.