Beyrouth, 17 septembre 2025 (AFP) – L’armée libanaise a annoncé mercredi avoir réalisé l’une des plus importantes opérations antidrogue de son histoire. Dans la région de Boudaï, près de Baalbeck, en plein cœur de la plaine de la Békaa, les militaires ont découvert environ 64 millions de pilules de captagon ainsi que 79 barils de produits chimiques destinés à la fabrication de stupéfiants. Une saisie d’une ampleur exceptionnelle qui confirme le rôle central du Liban et de sa frontière poreuse avec la Syrie dans un trafic régional devenu tentaculaire.
Selon un communiqué officiel, il s’agit de « l’une des plus grandes quantités de drogue jamais découvertes sur le territoire libanais ». L’opération, menée dans un entrepôt clandestin de la localité de Boudaï, illustre l’implantation profonde de réseaux criminels dans la plaine de la Békaa, région connue depuis des décennies pour être un centre de production et de transit de drogues. L’armée précise que les enquêtes se poursuivent afin d’arrêter les responsables de ce réseau.
Cette saisie intervient deux jours seulement après le démantèlement d’un réseau international de trafic et l’interception par les autorités libanaises d’un chargement de haschich et de comprimés de captagon destiné à l’Arabie saoudite. Une série d’opérations qui visent à répondre aux pressions croissantes des États du Golfe.
Depuis plusieurs années, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et d’autres monarchies du Golfe dénoncent le Liban et la Syrie comme des plaques tournantes du trafic de captagon, amphétamine de synthèse illégale massivement consommée dans la région. Pour Riyad, cette drogue est devenue une menace sanitaire et sécuritaire majeure, touchant une large partie de sa jeunesse.
Les pressions exercées sur Beyrouth sont donc considérables : les exportations agricoles libanaises ont même été temporairement suspendues par l’Arabie saoudite en 2021 après plusieurs saisies de captagon dissimulé dans des cargaisons de fruits et légumes. Les pays du Golfe exigent du Liban qu’il s’engage plus fermement dans la lutte contre ce trafic, conditionnant parfois leur coopération économique et diplomatique à des résultats concrets.
Le captagon n’est pas un phénomène isolé au Liban. Sa véritable base se trouve en Syrie. Pendant la guerre civile déclenchée en 2011, le régime de Bachar al-Assad, affaibli par les sanctions internationales et l’effondrement économique, aurait massivement investi dans la production et l’exportation de cette drogue. En quelques années, le captagon est devenu la principale source de devises pour Damas, au point que de nombreux experts qualifient la Syrie de « narco-État ».
Le Hezbollah libanais, allié de Damas, est régulièrement accusé d’être impliqué dans ce trafic, facilitant la contrebande à travers une frontière montagneuse difficile à contrôler. Pour ses détracteurs, cette organisation politico-militaire utiliserait le commerce illicite pour financer ses activités régionales. Le Hezbollah nie systématiquement ces accusations, mais l’opacité qui entoure ses réseaux transfrontaliers entretient les soupçons.
L’ampleur du trafic de captagon a transformé la question en véritable enjeu géopolitique. La drogue circule désormais bien au-delà du Moyen-Orient, atteignant l’Europe, l’Afrique du Nord et parfois même l’Asie de l’Est. Son expansion alimente les tensions entre le Liban, la Syrie et les pays du Golfe, tout en affaiblissant la crédibilité des institutions libanaises déjà minées par la corruption et la crise économique.
Pour les experts, la saisie record annoncée mercredi est certes une victoire symbolique, mais elle ne suffira pas à endiguer un phénomène profondément enraciné dans les réseaux de pouvoir et dans la fragilité des États concernés. Comme le souligne un analyste basé à Beyrouth, « chaque saisie de plusieurs millions de pilules rappelle qu’il y en a probablement dix fois plus qui échappent aux contrôles ».
Alors que le Liban traverse une crise financière et institutionnelle sans précédent, la lutte contre le captagon apparaît comme un test de crédibilité vis-à-vis de ses partenaires régionaux. Entre pressions internationales, accusations d’implication d’acteurs puissants comme le Hezbollah et incapacité chronique de l’État à contrôler ses frontières, l’avenir de cette guerre contre la drogue reste incertain.