Le 24 mai 2025, au palais de Dolmabahçe à Istanbul, une rencontre diplomatique d’apparence historique s’est tenue entre Recep Tayyip Erdogan, président turc, et Ahmad al-Sharaa, président syrien par intérim. Ce face-à-face, long de plus de deux heures et demie, a été présenté comme un tournant majeur vers une nouvelle ère de coopération syro-turque. Pourtant, derrière le vernis des déclarations officielles et des promesses d’un futur pacifié, la réalité est bien plus complexe, voire inquiétante.
Cette rencontre s’inscrit dans un contexte particulier : la levée récente des sanctions américaines contre la Syrie, annoncée par l’administration Trump, et saluée par Ankara comme un signe encourageant vers la normalisation diplomatique. Erdogan a même pris part en visioconférence à une réunion tripartite entre Donald Trump et Al-Sharaa à Riyad, soulignant ainsi son rôle central dans ce jeu d’influences. Toutefois, cette posture officielle masque un agenda plus pragmatique, voire cynique.
La Turquie, sous la direction d’Erdogan, joue une double partition. D’un côté, elle affiche un soutien ostentatoire à la Syrie post-Assad, prétendant vouloir faciliter la reconstruction, la lutte contre le terrorisme et la gestion des réfugiés syriens. De l’autre, cette relation semble surtout dictée par des intérêts stratégiques et économiques immédiats, notamment la volonté d’Ankara de contenir les ambitions kurdes dans la région et de renforcer son emprise politique interne via des contrats juteux liés à la reconstruction syrienne.
Le profil d’Al-Sharaa, ex-militant d’Al-Qaïda recyclé en chef d’État, illustre parfaitement les contradictions de cette alliance. Son rejet des revendications kurdes, la persistance de zones de conflit dans le nord syrien et ses liens idéologiques posent un défi majeur pour Ankara, qui cherche à maintenir l’équilibre délicat entre ses partenaires occidentaux et ses intérêts géopolitiques locaux. L’influence d’Al-Sharaa reste fragile, et sa légitimité contestée, rendant toute coopération difficile à consolider.
Par ailleurs, la diplomatie d’Erdogan est soumise à des tensions régionales constantes, notamment avec d’autres acteurs influents du Moyen-Orient. Ses postures belliqueuses à l’encontre de certains pays voisins viennent brouiller davantage l’image d’une Turquie pivot stable et fiable. Le poids des ambitions personnelles et des jeux d’influence éclaire d’un jour critique les résultats concrets de cette rencontre d’Istanbul.
En définitive, si la réunion a permis d’aborder des questions cruciales — lutte contre le terrorisme, reconstruction, gestion des réfugiés — les avancées tangibles restent incertaines. La poignée de main entre Erdogan et Al-Sharaa pourrait bien n’être qu’une façade diplomatique sur un terrain miné par les contradictions, les intérêts divergents et les risques de déstabilisation persistants.
La région du Moyen-Orient, toujours en proie à des tensions profondes, ne saurait se contenter de discours flatteurs. Pour que cette nouvelle coopération syro-turque dépasse le stade du symbole, il faudra des actes concrets, une confiance mutuelle sincère, et surtout une vision à long terme dépassant les simples calculs politiques.