Kigali, 8 juin 2025 — Nouvelle fracture dans le paysage géopolitique africain. Le Rwanda a annoncé, ce samedi, son retrait de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC), dénonçant une « instrumentalisation » de l’organisation par la République démocratique du Congo (RDC). Cette décision dramatique intervient dans un climat de vives tensions diplomatiques et militaires dans la région des Grands Lacs, alors que l’offensive des rebelles du M23, soutenus par Kigali selon Kinshasa, ravive les craintes d’un embrasement régional.
La crise s’est cristallisée autour d’un désaccord sur la présidence tournante du bloc. Le Rwanda s’attendait à prendre la tête de la CEEAC lors du sommet organisé samedi en Guinée équatoriale. À sa grande surprise, les États membres ont décidé de maintenir la Guinée équatoriale à la présidence, une décision que Kigali considère comme une violation des règles internes du bloc régional.
Dans un communiqué publié peu après le sommet, le ministère rwandais des Affaires étrangères a fustigé une manœuvre orchestrée par Kinshasa et qualifié le fonctionnement actuel de l’organisation d’« illégitime » et contraire à ses principes fondateurs. En conséquence, le Rwanda a déclaré qu’il ne voyait plus de justification à sa participation au sein d’un bloc « manipulé à des fins politiques ».
Ce départ spectaculaire survient alors que les relations entre Kigali et Kinshasa sont au plus bas depuis plusieurs mois. En toile de fond : la résurgence du groupe armé M23, accusé d’être un prolongement des intérêts rwandais dans l’est de la RDC. Le M23 s’est emparé de plusieurs grandes villes dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu début 2025, provoquant des milliers de morts et le déplacement de centaines de milliers de civils.
Le gouvernement congolais a salué la décision de la CEEAC, estimant que celle-ci a « reconnu l’agression du Rwanda » contre la RDC. Kinshasa exige le retrait immédiat des troupes rwandaises présentes sur son sol. Pour sa part, Kigali continue de nier toute implication directe, affirmant que ses troupes n’interviennent qu’en légitime défense contre les milices hutu FDLR, héritières des auteurs du génocide de 1994.
Face à l’escalade, plusieurs puissances régionales et internationales, dont les États-Unis, le Qatar et l’Union africaine, multiplient les efforts diplomatiques pour éviter une déstabilisation totale de la région. L’administration américaine, emmenée par le président Donald Trump, espère parvenir à un accord de paix bilatéral entre la RDC et le Rwanda, condition jugée essentielle pour sécuriser les investissements stratégiques dans cette région riche en ressources minières critiques : or, cobalt, cuivre, tantale, lithium.
La rupture avec la CEEAC compromet temporairement ces efforts de médiation, en retirant un forum essentiel de dialogue et de coopération entre les États membres.
Fondée dans les années 1980, la CEEAC compte 11 pays membres, dont l’Angola, le Tchad, le Gabon, le Cameroun, le Congo, la RDC ou encore le Rwanda. Son objectif est de renforcer l’intégration économique, la coordination sécuritaire et la stabilité politique dans une région souvent secouée par des conflits armés.
Le départ du Rwanda, puissance militaire et technologique montante du continent, constitue un coup dur pour la crédibilité et l’efficacité du bloc régional, déjà mis à mal par des rivalités internes et l’absence de mécanismes de résolution de conflits efficaces.