Erdogan envoie des troupes en Libye pour combattre les alliés de la Russie et accroître son influence régionale et soutenir Tripoli, qui s’oppose à Moscou.
Un nouveau jeu international se joue en Méditerranée orientale. Alors qu’en Syrie, l’armée et son allié la Russie frappent violemment le nord-ouest, pour mettre fin au dernier foyer d’une opposition armée une fois soutenue par la Turquie, les deux nations étrangères menacent de s’engager en Libye. Et pas seulement eux. De plus en plus de pays tournent autour de l’une des deux puissances rivales dressées sur les ruines du Kadhafi. Une autre des guerres dites «proxy» arrive.
« Ils soutiennent un chef de guerre mais nous arrivons au gouvernement légitime et nous acceptons son invitation à envoyer des troupes. C’est ce qui le rend différent », a expliqué hier le président turc Recep Tayyip Erdogan aux délégués provinciaux de son parti. Le président tentait d’expliquer à ses acolytes les raisons pour lesquelles, dès le mois prochain, la Grande Assemblée, qui domine, prévoit d’approuver un déploiement militaire avec lequel la Turquie cherche à gagner du poids régional et à affronter ses voisins inconfortables, en particulier la Grèce et Chypre.
Le gouvernement d’Erdogan est, avec le Qatar et l’Italie, l’un des partisans proclamés du gouvernement d’accord national (GAN). Basée à Tripoli et dirigée par le Premier ministre Fayez Sarraj, cette administration est la seule reconnue par les Nations Unies. Par contre, il est appelé le gouvernement de Tobrouk, basé sur la ville du même nom. Son bras armé, l’armée nationale libyenne dirigée par le maréchal Khalifa Haftar, tente d’envahir Tripoli depuis neuf mois, une offensive qui a relancé ces jours-ci. Des escarmouches se sont produites autour de la ville, bien que le GAN semble avoir réussi à arrêter la première attaque de Haftar.
Samedi dernier, après une visite de Fayez el-Sarraj, le Parlement turc a approuvé un accord militaire avec le GAN qui permettra au Libyen de fournir des équipements et une formation militaire. La motion qui devrait être adoptée en janvier, annoncée jeudi par Erdogan, permettra d’envoyer des soldats combattre Haftar à la demande du GAN, qui a déjà exprimé son désir d’exiger des troupes si les combats se multiplient dans la capitale. Erdogan a accusé Haftar hier d’être un « coup d’État soutenu par plusieurs pays européens et arabes », dont la Russie. Si le déploiement turc se concrétise, Erdogan peut paradoxalement utiliser la même chose que Poutine pour intervenir en Syrie: avoir une invitation formelle à le faire.
Mais l’empreinte turque est déjà perceptible en Libye, surtout dans son ciel. Selon nos sources d’informations, les drones Bayraktar TB2 traversent l’air libyen sous l’égide du GAN, tout comme une flotte de navires similaires Wing Loong de l’usine chinoise, fournis par les Émirats arabes unis aux forces Haftar. La lutte dans les cieux, en combattant ces engins bon marché, utiles pour se faufiler et se battre sans risquer d’être efficaces sur le champ de bataille, a fait de la Libye la première étape de l’une des prétendues guerres du futur.
« La puissance aérienne joue un rôle plus important et les drones sont très utiles. Nous avons détecté une plus grande tendance à poursuivre des cibles » douces « . Les victimes civiles sont de plus en plus tolérées et il n’y a pas eu de condamnations internationales », rappelle le journalise Jalel Harchaoui, expert de l’Institut Clingendael de La Haye. L’universitaire cite plusieurs exemples. En août dernier, un drone opéré par les Émirats a tué environ 45 personnes, dont de nombreux enfants, lors d’une réunion dans le sud-ouest du pays. Le navire, au service de Haftar, a exécuté le soi-disant bombardement à double piège, une technique couramment utilisée par les Russes en Syrie qui consiste à frapper une fois, en attendant qu’ils viennent vers les victimes et attaquent à nouveau ce point.
Selon l’ONU, qui considère ces interventions étrangères d’envergure en Libye comme «un obstacle à la paix» et continue de demander aux parties une entente politique qui évite la résurgence du conflit armé, plus d’un millier de personnes sont mortes lors de la dernière vague de combats et plus encore 120 000 personnes ont été déplacées. L’une des craintes est que la branche libyenne de l’État islamique, qui est venue gouverner une ville de la taille de Syrte jusqu’à son expulsion en décembre 2016, pourrait exploiter la situation et réapparaître au milieu d’un manque de contrôle.
Cela a été récemment mis en garde par Fayez el-Sarraj, qui estime que l’offensive actuelle de Haftar donne « aux terroristes l’opportunité et le temps appropriés » pour une résurgence. Haftar, d’autre part, a été l’un des béliers dans la lutte contre les Daech. Cela et son image d’un militaire non islamiste lui ont valu les sympathies occidentales qui manquent au GAN, identifiées avec des frères musulmans criminalisés dans des pays comme l’Égypte ou l’Arabie saoudite.
Selon son ministre de l’Intérieur, Fathi Bachagha et Western Intelligences, un millier de combattants russes ont rejoint les rangs de Haftar qui attaquent Tripoli. Ils ne sont ni plus ni moins que des mercenaires de la société Wagner, la « mini-armée » privée d’un ami de Vladimir Poutine qui a agi comme une force russe dans les scénarios où Moscou a préféré ne pas confirmer sa présence ou rendre compte de ses propres pertes. Bachagha a dénoncé que les hommes de Wagner ont la technologie pour désorienter les drones et l’artillerie.
Poutine devrait se rendre en Turquie le 8 janvier. Il est probable que parmi les questions que lui et Erdogan figurent l’avenir de la Syrie et de la Libye. Ankara va négocier il convient de signer un accord maritime controversé avec le GAN auquel il ne veut pas renoncer. Le fond marin nouvellement défini par les deux administrations, qui est présumé plein de gaz, chevauche celui de la Grèce et en particulier de Chypre, que la Turquie accuse de vendre des droits d’exploitation à des tiers sans ses protections chypriotes turques. Si les guerres redoutées de la nouvelle année ont une solution, il semble que ce sera loin de l’orbite occidentale.