Face à une vague de protestations populaires et à une pression croissante de ses alliés occidentaux, l’Ukraine s’apprête à revoir une loi qui remettait en cause l’indépendance de ses principales institutions de lutte contre la corruption. Le Parlement doit examiner ce jeudi un nouveau texte, après avoir adopté, le 22 juillet dernier, une réforme perçue comme un recul démocratique.
La loi initiale prévoyait de placer le Bureau national anticorruption (NABU) et le Parquet spécialisé anticorruption (SAPO) sous la tutelle directe du procureur général, nommé par le président. Ce transfert de pouvoir, sans débat parlementaire, a été immédiatement dénoncé comme une menace pour l’autonomie de ces deux piliers de la lutte anticorruption, instaurés après Maïdan en 2015 sous la pression de l’Union européenne et du FMI.
Volodymyr Zelensky, qui avait soutenu la réforme, justifiait ce changement par la nécessité de contrer des tentatives d’infiltration par les services russes. Mais cette ligne de défense n’a pas convaincu, ni à l’intérieur du pays ni à l’étranger.
Des centaines de manifestants sont descendus dans les rues de Kiev – une première mobilisation d’ampleur depuis le début de l’invasion russe en 2022. Simultanément, Bruxelles a menacé de geler une partie de son aide financière, soulignant que l’indépendance des agences anticorruption est une condition non négociable du processus d’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne.
Sous cette double pression, Zelensky a rapidement fait volte-face. Dès le 24 juillet, il annonçait une révision du texte. Le ministre des Affaires étrangères Andriï Sybiga a alors affirmé que les autorités « corrigeaient le tir » afin de rétablir la confiance.
Le nouveau projet prévoit de rétablir formellement l’indépendance du NABU et du SAPO, tout en introduisant des mesures de sécurité renforcées, telles que des tests réguliers au détecteur de mensonges pour les agents traitant des données sensibles, et une surveillance accrue des employés ayant des liens familiaux ou personnels avec la Russie.
Mais pour l’opposition, ces ajustements relèvent davantage de la mise en scène que d’une réforme sincère. « Ils résolvent héroïquement des problèmes qu’ils ont eux-mêmes créés », ironise le député Yaroslav Zhelezniak. Certains craignent même un usage sélectif de ces mesures pour écarter des agents trop zélés ou politiquement gênants.
Plusieurs analystes estiment que la réforme initiale visait en réalité à entraver des enquêtes sensibles touchant l’entourage proche du président. Parmi les cas évoqués figure l’ancien vice-Premier ministre Oleksiy Chernyshov, soupçonné de corruption, qui a quitté le pays juste avant l’arrestation de deux de ses collaborateurs.
Le nom d’Andriy Yermak, chef de l’administration présidentielle, revient également avec insistance. Considéré comme l’homme fort de l’ombre du pouvoir, il est accusé par des voix critiques d’avoir une influence démesurée sur les institutions et d’interférer dans des dossiers judiciaires sensibles. Bien qu’aucune preuve de corruption ne le vise directement, sa position centrale alimente les soupçons.
Malgré les menaces et les incertitudes, la mobilisation citoyenne a montré que l’attachement des Ukrainiens aux institutions démocratiques reste fort. Pour beaucoup, la lutte contre la corruption est un enjeu existentiel, surtout en période de guerre, alors que l’effort de reconstruction et l’adhésion européenne exigent des standards élevés de transparence.