Le 22 août 2025, l’ancien Premier ministre thaïlandais Thaksin Shinawatra, figure centrale et controversée de la politique thaïlandaise, a été acquitté par un tribunal de Bangkok des accusations de lèse-majesté, un crime passible de 15 ans de prison en Thaïlande. Cette décision, rendue à l’issue d’un procès lié à des propos tenus en 2015 dans une interview accordée à un média sud-coréen, marque un tournant pour le milliardaire de 76 ans, surnommé le « Berlusconi d’Asie ». L’acquittement intervient dans un contexte de tensions politiques accrues, alors que la dynastie Shinawatra, qui domine la scène politique thaïlandaise depuis deux décennies, traverse une période de fragilité.
L’affaire découle de déclarations faites par Thaksin en 2015, lorsqu’il suggérait que le Conseil privé, proche de la monarchie, avait soutenu le coup d’État militaire de 2014 qui avait renversé le gouvernement de sa sœur, Yingluck Shinawatra. Ces propos, perçus comme une critique implicite de la royauté, ont conduit la junte militaire de l’époque à invoquer l’article 112 du code pénal, la stricte loi sur le lèse-majesté qui criminalise toute critique du roi Maha Vajiralongkorn ou de la famille royale. « Le tribunal a rejeté les accusations, estimant qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves », a déclaré Winyat Chatmontree, l’avocat de Thaksin, aux médias. Souriant, l’ancien Premier ministre a quitté le tribunal en déclarant simplement que l’affaire était « classée ».
Thaksin Shinawatra, ancien policier devenu magnat des télécommunications, a marqué l’histoire thaïlandaise par son ascension fulgurante et son style politique populiste. Élu Premier ministre en 2001, il a conquis les classes populaires grâce à des politiques de redistribution audacieuses, stimulant une croissance économique dépassant 5 % et gérant avec efficacité la crise du tsunami de 2004. Réélu triomphalement en 2005, il s’est toutefois attiré l’hostilité de l’establishment royal et militaire, qui l’accusait de corruption, d’autoritarisme et de mépris des institutions. En 2006, la vente controversée de son empire Shin Corp à Singapour pour 1,5 milliard de dollars, exempte d’impôts, a déclenché des manifestations massives, prélude à un coup d’État militaire qui l’a contraint à l’exil en 2008.
Malgré son départ, Thaksin est resté une figure omniprésente, influençant la politique thaïlandaise depuis l’étranger. Ses soutiens, les « chemises rouges » issues des campagnes, se sont opposés violemment aux conservateurs « chemises jaunes » entre 2008 et 2010, exacerbant les fractures sociales. Condamné par contumace à huit ans de prison pour corruption, Thaksin est revenu à Bangkok le 22 août 2023, accueilli en héros par les partisans du parti Pheu Thai, dirigé par sa fille Paetongtarn. Arrêté dès son arrivée, il a bénéficié d’une grâce royale réduisant sa peine à un an, dont six mois purgés dans un hôpital de la police en raison de son état de santé.
L’acquittement de Thaksin soulève des interrogations sur un possible accord tacite entre la dynastie Shinawatra et ses anciens adversaires de l’armée et de la monarchie. Après la défaite des partis pro-militaires aux élections de mai 2023, le retour de Thaksin et son traitement de faveur – grâce royale et détention allégée – suggèrent une entente permettant au Pheu Thai de consolider son pouvoir au sein d’une coalition gouvernementale. Cependant, ce verdict intervient alors que la famille Shinawatra fait face à des vents contraires : Paetongtarn, Première ministre depuis août 2024, est suspendue pour des accusations de manquements éthiques liées à la gestion des tensions frontalières avec le Cambodge, tandis que Yingluck reste en exil.
L’acquittement de Thaksin, s’il renforce temporairement sa position, ne dissipe pas les incertitudes pesant sur l’avenir de sa dynastie. Sans successeur clair et face à une opposition conservatrice toujours influente, le clan Shinawatra doit naviguer dans un paysage politique miné par les tensions. La loi sur le lèse-majesté, souvent utilisée pour museler les critiques, reste un outil redoutable dans un pays où la monarchie conserve un poids symbolique et politique considérable.