Dans les couloirs feutrés de la Diète japonaise, Sanae Takaichi, la « Dame de Fer » ultraconservatrice du Parti libéral-démocrate (PLD), est à deux doigts de briser le plafond de verre, devenir la première femme Premier ministre du Japon. Mais derrière cette avancée historique se cache un marchandage acharné et cynique avec le Parti de la Restauration du Japon (PRJ), un allié improbable qui troque son rôle de critique virulente du PLD pour celui de complice stratégique.
Takaichi et Fumio Fujita, co-leader du PRJ, ont scellé ce pacte lors de négociations marathon, ouvrant la voie à une élection décisive le mardi suivant – une formalité qui pourrait la propulser au pouvoir sans véritable opposition. Après deux semaines de chaos interne au PLD, miné par des scandales de corruption et une perte de majorité avec seulement 196 sièges, Takaichi a joué sa carte maîtresse : rallier les 36 élus du PRJ pour frôler les 231 voix, à un cheveu de la majorité absolue. Quelques députés indépendants suffiront à verrouiller le scrutin dès le premier tour, reléguant le débat démocratique au second plan.
Le PRJ n’a pas donné son soutien pour rien. Douze exigences explosives ont été posées sur la table : réduction de 10 % des sièges parlementaires, interdiction des financements occultes par les entreprises et groupes d’intérêt, et un audacieux plan de « décentralisation capitale » visant à transférer certaines fonctions de Tokyo vers les provinces. Si la question des dons a enflammé les discussions, c’est finalement la réduction des sièges qui a fait plier le PLD. Un compromis empoisonné : survivre politiquement en avalant une pilule amère, tandis que les critiques dénoncent un stratagème destiné à détourner l’attention de l’opacité financière du parti au pouvoir.
Le PRJ, jadis fer de lance contre les « affaires sales » du PLD, démontre un caméléonisme politique impressionnant. Aucun ministre du PRJ ne rejoindra le cabinet pour l’instant : prudence et méfiance dominent. Takashi Endō, président de la Commission des affaires de la Diète au PRJ, sera « assistant spécial » du Premier ministre, un rôle de vigie pour surveiller les promesses non tenues. Un conseil mixte supervisera les réformes, et le PRJ participera aux examens préliminaires des projets de loi – une « coopération hors cabinet » qui rappelle les arrangements bancals avec le Komeito : efficace sur le papier, explosive en réalité.
Takaichi avance dans ce jeu, portée par l’aura symbolique d’une pionnière historique. Première femme à la tête du Japon, elle incarne un symbole puissant dans un pays englué au 125e rang mondial pour l’égalité des genres. Mais derrière cette façade, c’est une conservatrice affirmée, visiteuse du sanctuaire Yasukuni et faucon anti-Chine, prête à imposer sa vision droitière musclée. Cette coalition fragile avec le PRJ n’est pas une lune de miel, c’est un sursis précaire, miné par rancunes et calculs égoïstes.
Née le 7 mars 1961 à Nara, ancienne capitale impériale, Sanae Takaichi – dont le nom signifie « haute ville » – n’est pas issue d’une dynastie politique. Fille d’un employé de banque et d’une femme au foyer, elle grandit dans un environnement modeste, bercée par le rock japonais (elle fut batteuse dans un groupe universitaire) et passionnée par les courses hippiques. Diplômée en droit de l’université Doshisha à Kyoto, elle passe un an comme stagiaire au Congrès américain en 1986, une expérience qui forge son pragmatisme international.
Entrée en politique en 1993 comme députée indépendante à la Chambre des représentants pour Nara, elle rejoint rapidement le PLD. Proche de Shinzo Abe, elle gravit les échelons : ministre de la Poste en 2006, de l’Économie en 2014, puis ministre de la Sécurité économique de 2022 à 2024 sous Fumio Kishida. À 64 ans, elle demeure célibataire et endeuillée, attachée à l’équilibre vie pro-perso – qu’elle promet d’abandonner » pour le Japon.
Le Japon entre désormais dans l’ère Takaichi : historique, oui, mais synonyme de fractures ravivées, de transparence sacrifiée et de luttes de pouvoir prêtes à exploser. La victoire d’une femme au sommet est indéniable… mais celle d’une élite qui se protège mutuellement des scandales l’est tout autant. L’Histoire tranchera – mais pas sans heurts.