La visite de Fernando Grande-Marlaska, ministre espagnol de l’Intérieur, à Alger, accompagnée d’une délégation de haut niveau comprenant des responsables de la police nationale, de la Garde civile et des directeurs généraux chargés des relations internationales, de l’immigration, de la protection civile et de la circulation, a marqué un tournant dans la coopération bilatérale. Officiellement, l’objectif est de renforcer la lutte contre la migration clandestine et les réseaux de passeurs. Mais derrière les annonces et les chiffres officiels, une question cruciale se pose : cette coopération sert-elle réellement les migrants ou n’est-elle qu’un instrument de contrôle migratoire au service des stratégies européennes et algériennes ?
Cette interrogation se cristallise dans l’affaire des sept mineurs algériens ayant fui vers l’Espagne à bord d’un bateau de pêche au début du mois de septembre. Ces adolescents ont réussi à atteindre Ibiza, filmant leur traversée et partageant les vidéos sur les réseaux sociaux, déclenchant l’attention de la presse internationale. Le ministre algérien de l’Intérieur, Saïd Sayoud, a confirmé que les autorités algériennes avaient répondu à toutes les demandes d’informations de la justice espagnole et que des démarches étaient en cours pour organiser leur rapatriement.
La lutte contre la migration clandestine, cheval de bataille des autorités algériennes et espagnoles, est devenue un terrain d’affrontements politiques et d’intérêts divergents. Les déclarations enflammées de Marlaska à Alger, vantant l’Algérie comme un « partenaire clé » dans la lutte contre la migration irrégulière, sonnent comme une ode à l’efficacité. Avec 30 000 départs illégaux interceptés en 2024 par les forces algériennes, l’Espagne applaudit des deux mains. Mais derrière ces chiffres impressionnants, une réalité plus sombre se dessine. Les migrants, souvent fuyant la misère, les conflits ou les persécutions, sont réduits à des statistiques dans un jeu diplomatico-sécuritaire où leur dignité semble accessoire.
L’Algérie, en endossant le rôle de « rempart » contre les flux migratoires vers l’Europe, ne fait-elle pas le sale boulot d’une Union européenne qui préfère externaliser ses frontières plutôt que d’affronter ses responsabilités ?
La relance de l’accord de retour de 2002 a été au cœur des discussions, avec la mise en place d’un comité technique conjoint chargé d’améliorer son efficacité. L’objectif : lutter contre la fraude documentaire, limiter l’usage des vedettes rapides par les passeurs et renforcer le partage d’informations entre les services de sécurité. Ces mesures, intégrées dans le cadre du Comité mixte de suivi de l’accord de sécurité réuni à Madrid le 13 octobre 2025, restent toutefois centrées sur la répression. Elles ignorent les moteurs véritables de la migration – inégalités économiques, crises climatiques, conflits armés – et la responsabilité des dynamiques internationales, y compris européennes, qui alimentent ces flux.Cette dimension élargit le partenariat, mais elle ne suffit pas à compenser le déséquilibre humanitaire et sécuritaire dans la lutte contre la migration clandestine.
Malgré les discours officiels et les résultats affichés, l’approche sécuritaire domine. Les migrants, qualifiés de « flux » ou de « pions », sont invisibilisés, tandis que la priorité est donnée à l’image d’efficacité et au contrôle des frontières. La coopération Algérie-Espagne, si elle est stratégique sur le papier, pose un dilemme moral et politique : protège-t-elle réellement les populations vulnérables ou sert-elle avant tout des objectifs géopolitiques et sécuritaires ?


























