Il y a des chutes qui résonnent comme un séisme au cœur d’un régime. Celle d’Alejandro Gil Fernández, ancien ministre cubain de l’Économie et bras droit de Miguel Díaz-Canel, en fait partie. Architecte de la Tarea Ordenamiento, réformateur adulé par le pouvoir et longtemps perçu comme le cerveau économique de la Révolution, Gil est aujourd’hui accusé des pires crimes d’État ,espionnage, corruption, blanchiment d’argent, fraude fiscale et destruction de documents officiels.
Un dossier si explosif qu’il pourrait valoir à l’ancien ministre jusqu’à trente ans de prison, voire la peine capitale — une menace qui plane rarement sur les fidèles du régime.
Tout commence en février 2024. Sans explication, Alejandro Gil est brusquement démis de ses fonctions. Le gouvernement parle de « réajustements administratifs », puis d’« erreurs graves ». Ensuite, le silence. Pendant dix-neuf mois, Gil disparaît, effacé du paysage public. Ses proches subissent le même sort, son épouse, Gina María González, est arrêtée ; sa fille, Laura María, placée en résidence surveillée.
La machine se remet en marche. La presse d’État évoque enfin « un vaste réseau de corruption et d’espionnage au sein du ministère de l’Économie ». Dix chefs d’accusation sont énumérés, sans qu’aucune preuve tangible ne soit rendue publique. On parle d’espionnage — mais sans dire au profit de qui. On parle de fraude — sans dire à quel niveau. Tout est flou, comme souvent dans les procès politiques cubains.
À Cuba, la justice ne se montre jamais «sans visage»: elle décrète, accuse et condamne à huis clos. Le parquet promet un « procès équitable et transparent », mais personne n’y croit. Dans un système où la justice n’est qu’un appendice du Parti communiste, l’issue semble déjà écrite. Pour les dissidents, il s’agit d’une purge classique : un technocrate trop influent devient subitement un traître commode. Pour les officiels, c’est au contraire la preuve de la « fermeté révolutionnaire » face à la corruption.
Gil, fidèle parmi les fidèles, a longtemps incarné la modernisation économique promise par Díaz-Canel. Il avait tenté de rationaliser un système épuisé, d’introduire un semblant de transparence, de simplifier les circuits monétaires. Mais ses réformes ont échoué face à la résistance interne du Parti et à l’effondrement économique du pays.
Aujourd’hui, il paie ce double échec : avoir voulu réformer un régime irréformable, et avoir trop bien servi un pouvoir qui ne tolère que la loyauté muette. Son nom rejoint la longue liste de ceux que la Révolution a glorifiés avant de les crucifier.
La chute d’Alejandro Gil Fernández dépasse le simple cadre judiciaire. Elle marque un moment de panique politique dans un pays étranglé par la crise économique, les pénuries et la contestation larvée. En désignant un coupable, le régime cherche à canaliser la colère populaire, à faire croire que les failles du système viennent d’hommes corrompus, non du système lui-même.



























