Le premier lieutenant Farid Al-Madhan, ancien chef du département des preuves médico-légales de la police militaire de Damas, a dévoilé son identité après plus d’une décennie passée dans l’anonymat. Connu sous le pseudonyme de « César », il est l’homme qui, au péril de sa vie, a réussi à faire fuiter 55 000 photos attestant de la torture et des exécutions systématiques dans les prisons du régime de Bachar al-Assad.
Dans une interview exclusive accordée à la chaîne qatarie Al Jazeera, il a déclaré publiquement : « Je suis le lieutenant Farid Al-Madhan, connu sous le nom de César. » Un moment historique pour les défenseurs des droits de l’homme et les victimes du régime syrien. Son témoignage intervient seulement deux mois après la chute de Bachar al-Assad, renversé après des années de guerre civile et de répression brutale.
Farid Al-Madhan est originaire de Deraa, une ville symbolique considérée comme le berceau de la révolution syrienne. Il raconte que dès 2011, au début du soulèvement populaire contre le régime, il a été chargé par le gouvernement de photographier les corps des détenus morts en détention.
Ces images, prises entre 2011 et 2013, ont révélé au monde entier l’ampleur des crimes commis dans les geôles syriennes. On y voit des cadavres émaciés, des corps marqués par la torture, certains avec les yeux crevés, d’autres mutilés ou portant des blessures profondes. D’autres clichés montrent des centaines de corps entassés dans des hangars, enveloppés dans des sacs plastiques, attendant d’être enterrés dans des fosses communes secrètes.
« J’ai vu des vieillards, des femmes et même des enfants arrêtés lors de manifestations ou aux points de contrôle. Ils ont été torturés et exécutés de manière systématique avant d’être transférés dans des morgues militaires. »
Ces révélations ont confirmé les pires soupçons des ONG et des organisations internationales : le régime Assad pratiquait la torture à une échelle industrielle, avec des méthodes dignes des pires crimes contre l’humanité.
Pendant plus de deux ans, Farid Al-Madhan a pris d’énormes risques pour collecter ces documents accablants. Il devait non seulement prendre des photos des corps, mais aussi s’assurer de pouvoir les extraire secrètement des archives militaires.
« Chaque jour, je devais trouver un moyen de cacher ces preuves et les faire sortir des bases militaires sans être repéré. »
Pour ce faire, il utilisait des méthodes rudimentaires mais efficaces : une clé USB cachée dans ses chaussettes, dissimulée dans un paquet de pain ou cousue à l’intérieur de ses vêtements. Il savait qu’au moindre soupçon, il risquait l’exécution immédiate.
En 2013, après avoir accumulé suffisamment de preuves, il décide de fuir la Syrie. Aidé par des réseaux clandestins, il réussit à quitter le pays et à faire parvenir les photos aux organisations internationales. Ces images sont rapidement authentifiées par des experts et exposées devant le Congrès américain et le Parlement européen, provoquant une onde de choc mondiale.
Les images et le témoignage de César ont eu un impact direct sur la politique internationale vis-à-vis du régime syrien. Aux États-Unis, elles ont inspiré la loi « César Act », adoptée en 2020, qui a imposé de lourdes sanctions économiques contre la Syrie et ses alliés. En Europe, elles ont permis d’ouvrir plusieurs enquêtes judiciaires contre des responsables du régime Assad. Depuis 2022, des procès historiques ont eu lieu en Allemagne, aux Pays-Bas et en France, où plusieurs hauts gradés des services de renseignement syriens ont été reconnus coupables de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.
Depuis la chute du régime Assad, de nombreux dossiers sont en cours pour juger les responsables encore en fuite. Farid Al-Madhan, désormais réfugié en France, espère que son témoignage servira à reconstruire une Syrie libre et démocratique.
Il exhorte la communauté internationale à ne pas relâcher la pression et à aider les Syriens à tourner la page de la dictature. « Je voulais que ces images servent à quelque chose, qu’elles permettent de traduire les criminels en justice. »
Alors que la Syrie entre dans une nouvelle ère, le parcours de « César » reste un symbole de courage et de résistance face aux atrocités d’un régime qui a régné par la terreur. Son combat n’est pas terminé, mais son sacrifice n’a pas été vain.