Tunis, 23 avril 2025 – L’arrestation d’Ahmed Souab, éminent juriste et ancien magistrat administratif devenu une voix critique du régime tunisien, marque un tournant inquiétant dans l’évolution politique de la Tunisie. Deux jours après son interpellation à domicile, un juge a ordonné sa détention provisoire pour des « propos menaçants envers le pouvoir judiciaire », dans ce qui est largement perçu comme une manœuvre politique visant à faire taire la dissidence.
Souab, connu pour ses prises de position tranchées contre le président Kais Saied, a été arrêté lundi après avoir dénoncé, lors d’un procès collectif très médiatisé, la pression exercée sur les juges par le pouvoir exécutif. Sa déclaration, métaphorique mais percutante – « les couteaux ne sont pas sur le cou des détenus, mais sur le cou du juge » – a été interprétée par un tribunal antiterroriste comme une menace directe, justifiant son inculpation pour « atteinte au pouvoir judiciaire » et même « faits liés au terrorisme ».
Une réaction en chaîne dans la société civile
La détention de Souab a rapidement déclenché une onde de choc à travers le pays. De nombreux partis politiques, ONG et militants des droits humains ont dénoncé une répression politique déguisée sous couvert judiciaire. Des manifestations ont éclaté dans les rues de Tunis, où l’on pouvait lire sur les pancartes : « Non à un système judiciaire sous tutelle ! Liberté pour les détenus politiques ! ».
Pour Bassam Khawaja, directeur adjoint à Human Rights Watch pour la région MENA, « le message est clair : toute personne osant critiquer le régime risque un procès sommaire et de lourdes peines ». Une inquiétude partagée par des juristes tunisiens, qui ont signé mardi une pétition dénonçant de « graves violations du droit à un procès équitable ».
Depuis le coup de force de l’été 2021, lorsque le président Saied a gelé le parlement, s’octroyant les pleins pouvoirs, la Tunisie semble glisser vers un régime autoritaire. Des dizaines d’opposants – membres du parti islamo-conservateur Ennahdha mais aussi figures laïques comme Abir Moussi – ont été arrêtés pour « complot contre la sûreté de l’État » ou « appartenance à un groupe terroriste ». La dernière salve de procès, où certains accusés ont écopé de peines allant jusqu’à 66 ans de prison, illustre la brutalité du virage sécuritaire opéré par le pouvoir.
Le procès de masse auquel participait Ahmed Souab comme avocat de la défense a été vivement critiqué à l’international. « Aucune procédure régulière n’a été respectée », assurent les avocats, qui ont boycotté l’audience de mercredi en raison de l’exclusion arbitraire de plusieurs d’entre eux par le juge en charge du dossier.
Le fils du juriste, Saeb Souab, a déclaré à la presse : « Selon une métaphore, mon père est désormais soupçonné de terrorisme ». Il s’est également adressé directement au président tunisien, qui fut autrefois professeur de droit : « Ce n’est pas cette justice que vous nous avez enseignée ».
Le cas Souab pourrait bien devenir le symbole d’une justice aux ordres, où la critique du pouvoir devient synonyme d’hostilité à l’État. Cette affaire, lourdement chargée de signification politique, rappelle à quel point les espoirs du Printemps arabe, nés en Tunisie en 2011, semblent aujourd’hui plus lointains que jamais.