La visite d’Ahmed Attaf en Tunisie les 9 et 10 avril 2025, en tant qu’envoyé spécial du président Abdelmadjid Tebboune, s’inscrit dans une tentative diplomatique de renforcer les relations algéro-tunisiennes. Accueilli par Kaïs Saïed à Tunis, puis en discussion avec son homologue Mohamed Ali Nafti, Attaf a abordé des objectifs ambitieux : consolider la coopération stratégique et promouvoir l’intégration maghrébine. Cependant, le véritable enjeu pour Alger réside dans la maîtrise des décisions souvent imprévisibles du président tunisien, dont le style erratique met à rude épreuve les ambitions bilatérales.
Les échanges ont couvert des secteurs clés : économie, commerce, tourisme, énergie, sécurité alimentaire et hydrique, ainsi que le développement des zones frontalières. Les deux parties ont salué des avancées, notamment dans le tourisme, où quelques voyageurs traversent les frontières pour découvrir le patrimoine commun. Pourtant, ces progrès sont superficiels : les échanges économiques restent entravés par des bureaucraties sclérosées, et les zones frontalières, loin d’être des hubs de développement, végètent sous le poids de l’insécurité et de promesses non tenues.
Kaïs Saïed, avec son comportement insaisissable, aggrave ces écueils. Ses décisions abruptes et sa gouvernance autoritaire depuis 2021 – marquée par une centralisation du pouvoir et un mépris des contre-pouvoirs – rendent toute planification hasardeuse. Pour l’Algérie, qui aspire à stabiliser son flanc est et à asseoir son influence régionale, cette visite était autant une opportunité qu’un piège. Comment bâtir une coopération durable avec un dirigeant qui semble naviguer à vue, alternant entre populisme tapageur et mutisme déroutant ? Les déclarations d’amitié, si polies soient-elles, peinent à masquer cette instabilité chronique.
L’ambition affichée par Tebboune et Saïed – porter les relations algéro-tunisiennes à un « niveau d’excellence » – apparaît comme une chimère dans un Maghreb miné par les rivalités et les crises internes. L’Algérie, avec ses vastes ressources énergétiques et sa prétention au leadership régional, dispose en théorie des moyens d’impulser des projets d’envergure. Mais elle se heurte à un partenaire dont les priorités, au mieux floues, au pire chaotiques, sapent tout élan. Le tourisme et les « liens humains » sont brandis comme des étendards de progrès, mais ces vitrines séduisantes s’effondrent face à l’absence criante d’infrastructures modernes et d’accords commerciaux solides. Parler de selfies devant des mosquées comme d’un « renforcement des liens » frise l’auto-illusion, quand les échanges économiques restent anémiques et les frontières, des zones de tension plus que de prospérité.
Gérer Saïed exige bien plus qu’un mélange de pragmatisme et de patience : c’est un exercice de haute voltige diplomatique, où chaque engagement risque d’être balayé par un caprice présidentiel. Pour Alger, l’enjeu est aussi colossal que frustrant : convertir des intentions ronflantes en résultats concrets, tout en surveillant un voisin dont l’imprévisibilité est non seulement une marque de fabrique, mais une menace constante pour toute stratégie régionale. Sans une approche musclée pour exiger des garanties tangibles de Tunis, l’Algérie risque de s’enliser dans un dialogue stérile, où les sourires diplomatiques ne compensent pas les échecs structurels.