Le président tchadien Mahamat Idriss Déby Itno a engagé une série de mesures disciplinaires d’une rare sévérité au sein de l’appareil sécuritaire, alors que le pays traverse une période de vives tensions politiques et ethniques, attisées par la guerre au Soudan voisin. Dans une série de décrets rendus publics lundi 14 avril 2025, une dizaine d’officiers supérieurs des forces de défense et de sécurité, ainsi que trois membres de la police nationale, ont été radiés pour “faute grave”, parmi eux plusieurs figures éminentes issues du clan Zaghawa, dont le général d’armée Abdelrahim Bahar Mahamat Itno, cousin du chef de l’État.
Cette purge marque un tournant dans la gestion autoritaire et de plus en plus centralisée du pouvoir par Mahamat Déby, héritier du régime instauré par son père, Idriss Déby Itno, il y a plus de trois décennies. Elle survient dans un contexte explosif, où les divisions internes au sein même du clan présidentiel croisent les lignes de fracture régionales, ethniques et militaires, sur fond d’un conflit soudanais qui s’enlise et déstabilise toute la bande sahélo-saharienne.
La radiation du général Abdelrahim Bahar Mahamat Itno est sans doute l’événement le plus symbolique de cette vague de sanctions. Cousin du président et homme influent au sein de la hiérarchie militaire, il est accusé d’avoir tenu des propos hostiles au régime dans des cercles communautaires zaghawa. Ce geste, lourd de signification, révèle l’ampleur des tensions au sein même du groupe ethnique dominant le Tchad depuis 1990, et qui avait longtemps fait bloc derrière la famille Déby.
La communauté zaghawa, bien que minoritaire démographiquement, contrôle l’essentiel des leviers sécuritaires et militaires du pays depuis l’arrivée au pouvoir d’Idriss Déby. Mais la guerre civile au Soudan, où vivent également des populations zaghawa soudanaises, a ravivé des clivages et des loyautés transfrontalières.
D’un côté, le président Déby est accusé, notamment par des organisations locales et des analystes internationaux, de soutenir discrètement les Forces de Soutien Rapide (FSR) du général Mohamed Hamdane Daglo, dit “Hemedti”, via des canaux de livraisons d’armes qui passeraient par les Émirats arabes unis. De l’autre, plusieurs figures militaires zaghawa au Tchad, en désaccord avec cette ligne, exprimeraient leur solidarité avec l’armée régulière soudanaise dirigée par le général Abdel Fattah al-Burhane.
La guerre civile au Soudan, entrée dans sa troisième année le 15 avril 2025, a fait plus de 70 000 morts et provoqué le déplacement de près de 11 millions de personnes, selon l’ONU. L’onde de choc de ce conflit s’étend bien au-delà de Khartoum ou de Darfour. Au Tchad, pays frontalier, les conséquences sont à la fois humanitaires, militaires et politiques.
La présence de groupes rebelles zaghawa à El Fasher, bastion stratégique du Darfour, inquiète au plus haut niveau de l’État tchadien. Ces groupes seraient dirigés par Ousman Dillo, frère de Yaya Dillo, opposant farouche au régime et tué en 2024 lors d’une opération militaire controversée à N’Djamena. Certains y voient les prémices d’une revanche familiale et communautaire, dans une région historiquement poreuse aux alliances transfrontalières.
Ce climat n’est pas sans rappeler les heures sombres de 2008, lorsque des rebelles venus du Soudan avaient menacé de renverser Idriss Déby à N’Djamena, avant que l’intervention militaire française ne sauve in extremis le régime. Aujourd’hui, le scénario d’une résurgence de ce type de menace n’est plus exclu, d’où la volonté de Mahamat Déby de verrouiller son entourage et d’écarter toute figure soupçonnée de dissidence.