Sous la pression d’un Parlement fragmenté et d’une opinion publique encore marquée par les tensions sociales de 2023, le Premier ministre français Sébastien Lecornu a annoncé mardi la suspension de la réforme des retraites d’Emmanuel Macron. À deux jours d’un vote de confiance décisif, cette décision apparaît moins comme un choix que comme un recul stratégique destiné à préserver l’exécutif.
« Cet automne, je proposerai au Parlement de suspendre la réforme des retraites de 2023 jusqu’à l’élection présidentielle de 2027 », a déclaré Lecornu, déclenchant des applaudissements nourris des bancs socialistes.
La réforme, qui repoussait l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans, reste la mesure la plus emblématique — et la plus contestée — du second mandat de Macron. Adoptée en mars 2023 via le 49.3, elle avait déclenché des manifestations massives dans tout le pays, laissant derrière elle ce que Lecornu a qualifié de « blessure à la démocratie ».
À 39 ans, Lecornu, reconduit vendredi dernier après une démission éclair, est désormais le pompier chargé d’éteindre l’incendie d’un gouvernement vacillant. Son maintien dépend du soutien conditionnel des socialistes. Comme l’a prévenu Laurent Baumel : sans « suspension immédiate et totale », la censure est garantie.
Le gel de la réforme aura un coût budgétaire estimé à 400 millions d’euros en 2026 et 1,8 milliard en 2027, selon Lecornu. Ces dépenses devront être compensées « par d’autres économies ». Philippe Aghion, Nobel d’économie 2025, juge ce sacrifice préférable à une « instabilité politique prolongée ».
Mais la France reste confrontée à des défis structurels majeurs : un déficit public attendu à 5,4 % du PIB et une dette dépassant 3 400 milliards d’euros (114 % du PIB), la troisième plus élevée de la zone euro après la Grèce et l’Italie.
La gauche a salué la décision. Boris Vallaud, chef de file du Parti socialiste, a parlé d’une « victoire politique et sociale ». Les Verts, par la voix de Cyrielle Chatelain, maintiennent toutefois leur soutien à une motion de censure. Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon dénoncent une « manœuvre de survie politique », tandis que Sébastien Chenu ironise : « Bonjour et au revoir, Monsieur le Premier ministre ».
Les manifestations récentes, comme la campagne « Bloquez tout » et la grève nationale d’octobre mobilisant 195 000 personnes, témoignent d’un pays au bord de la rupture, exaspéré par les coupes budgétaires et l’instabilité chronique.
En menaçant de dissoudre l’Assemblée en cas de censure, Macron joue son va-tout. Mais la fragilité de l’équilibre politique laisse planer le spectre de nouvelles élections, potentiellement favorables aux extrêmes.
Avec une dette abyssale et un déficit hors des clous européens, la France tangue dangereusement. Lecornu a gagné un sursis, mais ce fragile équilibre pourrait s’effondrer au moindre faux pas.