Le Kenya est secoué par une vague de manifestations antigouvernementales d’une intensité croissante, poussant le président William Ruto à adopter une posture résolument inflexible. Lors d’un discours prononcé récemment à Nairobi, il a fermement mis en garde ceux qui, selon lui, chercheraient à « renverser » son gouvernement par des moyens anticonstitutionnels, accusant certains groupes de vouloir « semer le chaos » avant l’élection présidentielle prévue en 2027. Ces déclarations interviennent après de violents affrontements survenus à l’occasion des commémorations du Saba Saba (7 juillet), date symbolique de la lutte pour la démocratie au Kenya.
Les récentes manifestations, émaillées de pillages, de heurts violents et d’arrestations massives, ont laissé un bilan particulièrement lourd. Selon la Commission nationale des droits humains (KNCHR), au moins 31 personnes ont été tuées, 107 blessées, 2 portées disparues et 532 interpellées au cours de la seule journée du 7 juillet. Nairobi a été largement bouclée par les forces de l’ordre, transformant récemment la capitale en ville fantôme.
Ces violences font écho aux précédentes vagues de répression enregistrées en 2024, qui avaient déjà fait plus de 60 morts et quelque 80 enlèvements signalés par des ONG, dont plusieurs cas de disparitions forcées restés à ce jour non élucidés. L’ONU, par la voix de Ravina Shamdasani, porte-parole du Haut-Commissariat aux droits de l’homme, a récemment condamné le recours excessif à la force, rappelant que l’usage de la force létale ne saurait être justifié qu’en cas de menace directe et imminente contre des vies humaines.
Initialement déclenché par le rejet d’une loi de finances très impopulaire, votée en juin 2024 et prévoyant de nouvelles taxes, le mouvement de contestation a progressivement pris une dimension politique. Plusieurs figures de l’opposition, dont l’ancien vice-président Rigathi Gachagua, ont récemment appelé à un boycott généralisé des institutions et entreprises associées au régime, qu’ils qualifient d’« autoritaire et illégitime ». « Nous ne reculerons pas, nous ne capitulerons pas », ont-ils martelé lors d’une conférence de presse, exprimant la colère d’une jeunesse de plus en plus mobilisée, excédée par la pauvreté, la corruption et l’absence de perspectives.
Élu en 2022 sur une promesse de réforme sociale et économique, William Ruto voit aujourd’hui son pouvoir contesté comme jamais auparavant. L’invasion du Parlement le 25 juin 2024 par des manifestants a marqué un tournant dramatique, suivie d’une répression brutale par les forces de l’ordre, qui ont récemment tiré à balles réelles sur la foule.
Alors que la tension continue de croître, le Kenya se trouve à un moment charnière de son histoire politique. La capacité du président Ruto à engager un dialogue sincère avec l’opposition et à répondre aux revendications populaires sera déterminante pour éviter que le pays ne bascule dans une instabilité prolongée. Sans volonté réelle d’écoute et de compromis, le risque d’une escalade de la violence et d’une fracture sociale durable demeure élevé.
La voie vers la stabilité exige un équilibre délicat entre maintien de l’ordre et respect des droits fondamentaux. Le sort du Kenya, sa cohésion nationale et sa trajectoire démocratique pourraient bien se jouer dans les prochaines semaines.