Le chef de l’armée soudanaise, le général Abdel Fattah al-Burhane, a reconnu lundi la défaite de ses troupes à El-Facher, la dernière ville du Darfour encore hors du contrôle des Forces de soutien rapide (FSR), en guerre contre l’armée depuis avril 2023. Après 18 mois de siège, El-Facher est tombée aux mains des paramilitaires, qui annoncent désormais vouloir contrôler l’ensemble du Darfour.
Dans un discours télévisé, Burhane a admis le retrait de ses troupes vers « un lieu plus sûr » et a promis que son camp « se vengera » et luttera « jusqu’à purifier cette terre ». Il a assuré : « Nos forces sont capables de remporter la victoire, de renverser la situation et de reconquérir nos terres. Nous sommes déterminés à venger tous nos martyrs et à purifier le pays des mercenaires. »
Si la ville tombe complètement, cela signifierait que les FSR contrôlent désormais les cinq États du Darfour, divisant de facto le pays entre une partie est sous contrôle de l’armée et une partie ouest sous contrôle des paramilitaires. Des sources militaires soudanaises ont précisé que l’armée avait évacué son quartier général de division à El-Facher pour des raisons strictement tactiques, afin de mieux se repositionner face à l’avancée des FSR.
Le conflit, qui dure depuis le 15 avril 2023, a déjà fait des milliers de victimes et provoqué des déplacements massifs. Selon les Nations unies et des sources locales, environ 20 000 personnes ont été tuées et plus de 15 millions déplacées, dont de nombreux réfugiés dans les régions voisines. Une étude universitaire américaine estime que le nombre réel de morts pourrait atteindre 130 000, illustrant l’ampleur catastrophique du conflit.
Sur le plan humanitaire, la situation est dramatique. La Coordonnatrice humanitaire des Nations Unies au Soudan a lancé un appel pressant aux FSR pour autoriser l’accès à la ville et assurer des couloirs sécurisés pour les civils. Le conseiller américain pour l’Afrique a demandé l’instauration immédiate d’une trêve humanitaire de trois mois. Les quelques réseaux de communication encore opérationnels, notamment le satellite Starlink, ont été largement coupés ou contrôlés par les FSR, plongeant El-Facher dans un quasi « black-out médiatique ».
Les organisations humanitaires et les militants locaux rapportent des exactions inquiétantes. Le Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’Homme, Volker Türk, a averti d’un risque croissant d’atrocités à caractère ethnique. Des rapports font état d’exécutions sommaires et d’actes de violence ciblant des civils désarmés. Une vidéo authentifiée par l’AFP montre un combattant abattant à bout portant plusieurs civils. Des militants locaux dénoncent également le pillage, les vols et les assassinats de bénévoles et de membres des cuisines populaires.
Les équipes médicales sont submergées par l’afflux de blessés. Médecins sans frontières (MSF) a signalé que depuis dimanche, 130 patients provenant d’El-Facher ont été hospitalisés à Tawila, dont 15 dans un état critique. L’Organisation mondiale de la santé a condamné l’attaque contre le seul hôpital encore partiellement fonctionnel de la ville, qui a fait au moins une victime parmi le personnel soignant et plusieurs blessés.
Selon le Syndicat des journalistes soudanais, la sécurité des reporters présents sur place est gravement compromise, tandis que la population civile vit dans la peur constante des milices et mercenaires déployés dans toute la ville.
Les FSR affirment vouloir « protéger les civils », « enlever les mines » et « nettoyer la ville de ses débris », mais des organisations locales et le collectif des Avocats de l’urgence dénoncent des exécutions collectives et des comportements « s’apparentant à des crimes de guerre ».
Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU, a appelé la communauté internationale à agir face à cette « terrible escalade du conflit », mettant en garde contre une partition de facto du Darfour et une intensification de la crise humanitaire.
El-Facher, longtemps considérée comme le dernier bastion résistant de la région, est désormais le symbole de l’effondrement de l’autorité de l’armée dans l’ouest du Soudan et d’une tragédie humanitaire qui ne cesse de s’aggraver.Le Soudan se retrouve de facto divisé entre un Est tenu par l’armée d’Al-Bourhane et un Ouest dominé par les FSR, qui y imposent leur propre administration. Cette fracture territoriale alimente la crainte d’une guerre prolongée et d’une désintégration du pays, à l’image des conflits syrien et libyen.



























