Selon de nombreux experts et analystes internationaux spécialisés dans les affaires africaines, l’escalade récente entre l’Algérie et les trois pays du Sahel — le Mali, le Niger et le Burkina Faso — avec le soutien manifeste de la Russie, reflète une montée en tension régionale inquiétante et pourrait marquer un tournant stratégique dans la reconfiguration des alliances dans la région sahélo-saharienne.
Dernier épisode en date : le Mali, appuyé par ses partenaires nigérien et burkinabè, a annoncé le rappel de ses ambassadeurs en poste à Alger, quelques jours après que les forces armées algériennes ont abattu un drone militaire malien. Un geste fort, aux répercussions symboliques et politiques majeures.
Pour Jean-Philippe Rémy, chercheur français spécialiste du Sahel à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), cette réaction collective n’est pas anodine. Dans une déclaration exclusive, il affirme que « la réponse coordonnée du Mali, du Niger et du Burkina Faso à l’incident du drone est hautement révélatrice : elle traduit un effritement manifeste de la confiance entre le gouvernement algérien et le nouvel axe sahélien, et annonce probablement une phase inédite de polarisation régionale ».
Rémy ajoute qu’« avec la naissance de l’Alliance des États du Sahel (AES), un nouveau discours plus ferme et sans compromis a émergé à l’égard de l’Algérie, pourtant longtemps perçue comme un acteur-clé de la médiation régionale grâce à ses revenus gaziers et pétroliers. »
Le chercheur souligne également que l’incident du drone et la réaction virulente de Bamako révèlent un basculement dans les équilibres de pouvoir, alors que ces trois États sahéliens s’émancipent de leurs anciens partenaires, notamment Paris et Alger, pour se rapprocher de Moscou.
Dans le même esprit, Dominique Trinquand, expert politique français, ancien officier de l’armée française et analyste à la Fondation Montaigne, estime que les tensions actuelles sont le symptôme de fractures sécuritaires profondes. Il pointe du doigt une dissonance stratégique : « Le refus de l’Algérie de reconnaître l’ampleur réelle des menaces sécuritaires auxquelles font face les pays du Sahel, combiné aux accusations persistantes de ces États qui reprochent à Alger un soutien tacite à certaines factions armées opérant dans les zones frontalières, alimente une méfiance dangereuse. »
Ce climat de rupture semble confirmer une marginalisation croissante de l’Algérie dans une région où elle jouait jadis un rôle central. Désormais, c’est Moscou qui avance ses pions. Et Alger, sourde aux signaux, semble perdre progressivement le contrôle d’un échiquier qu’elle pensait maîtriser.
