Dakar – 8 mai 2025– Le Sénégal franchit une nouvelle étape dans la croisade anticorruption promise par le président Bassirou Diomaye Faye. Jeudi, les députés ont entamé l’examen de plusieurs dossiers sensibles impliquant des anciens ministres de l’administration Sall, soupçonnés de détournements massifs de fonds publics, notamment ceux destinés à la lutte contre la pandémie de COVID-19.
Ce débat parlementaire, rare dans le paysage politique sénégalais, vise à autoriser la comparution d’anciens membres du gouvernement devant la Haute Cour de justice, seule habilitée à juger les infractions commises dans l’exercice de fonctions ministérielles. Une commission spéciale a été saisie pour instruire les cas, et un vote à bulletin secret devra réunir une majorité des trois cinquièmes des 165 députés pour permettre les poursuites.
Au cœur de l’affaire, la gestion opaque de plus de 1 000 milliards de francs CFA (environ 1,7 milliard de dollars) mobilisés entre 2020 et 2021 pour faire face à la pandémie. Le fonds visait à renforcer le système de santé, soutenir les ménages les plus vulnérables, préserver les emplois et aider les entreprises. Mais selon un rapport de la Cour des comptes publié en décembre 2022, de nombreuses irrégularités ont été relevées.
Parmi les exemples cités : une surfacturation de 2,7 milliards de francs CFA sur des achats de riz destinés aux familles défavorisées, et 42 millions de francs CFA dépensés pour du gel hydroalcoolique dont l’utilisation reste douteuse.
Les noms de plusieurs personnalités de l’ancien régime reviennent avec insistance : Moustapha Diop, ex-ministre du Développement industriel, et Salimata Diop Dieng, ex-ministre des Affaires féminines, tous deux députés actuels dont l’immunité parlementaire a été levée vendredi dernier.
Trois autres anciens ministres sont également cités dans l’enquête : Amadou Mansour Faye, beau-frère de l’ex-président Macky Sall, Aïssatou Sophie Gladima, ex-ministre des Mines et de l’Énergie, ainsi qu’Ismaïla Madior Fall, ancien ministre de la Justice.
Tous rejettent en bloc les accusations, dénonçant une opération politique. L’opposition, elle, crie à la « chasse aux sorcières » orchestrée par le nouveau pouvoir.
Élu en mars dernier sur un programme de rupture, Bassirou Diomaye Faye a fait de la transparence et de la justice les piliers de sa gouvernance. Ce vaste chantier de reddition des comptes constitue un test politique crucial pour son jeune mandat et pourrait marquer un tournant démocratique majeur dans la gouvernance sénégalaise.
Des artistes, journalistes, hauts fonctionnaires et figures influentes de la société civile ont également été auditionnés dans le cadre de l’enquête, traduisant la volonté du pouvoir de ne pas limiter la justice aux seules figures politiques.
La prochaine étape dépendra du vote des députés. Si les poursuites sont autorisées, la commission d’instruction de la Haute Cour décidera du renvoi ou non des accusés devant le tribunal. Les décisions rendues par cette juridiction sont définitives et sans appel.