Le débat sur le retour du service militaire obligatoire en Allemagne n’est plus seulement une hypothèse : il devient une piste sérieusement envisagée par le gouvernement fédéral, en particulier par le ministre de la Défense Boris Pistorius. Lors d’un entretien accordé au Frankfurter Allgemeine Sonntagszeitung, ce dernier a clairement indiqué que si les efforts de recrutement volontaires ne suffisent pas, la conscription pourrait être réintroduite dès le 1er janvier 2026. Une annonce qui marque un tournant stratégique majeur pour une Allemagne qui avait aboli la conscription en 2011, au nom d’une armée professionnelle plus mobile et moderne.
Ce retour en arrière apparent s’inscrit dans un contexte géopolitique profondément instable. Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022, la perception des menaces en Europe a radicalement changé. Le chef d’état-major allemand, Carsten Breuer, a récemment averti que la Russie pourrait retrouver une capacité offensive significative d’ici 2029, suffisamment puissante pour menacer un pays membre de l’OTAN. Face à cette échéance, l’Allemagne veut se préparer au pire scénario : celui d’un affrontement militaire conventionnel en Europe.
Mais le cœur du problème reste le déficit de personnel. La Bundeswehr ne parvient pas à atteindre ses objectifs de recrutement. Actuellement forte de 180 000 soldats, elle ambitionne de monter à 203 000 d’ici 2031, mais la tendance reste très en deçà des espérances. Le gouvernement projette donc un dispositif où tous les jeunes hommes de 18 ans rempliraient un questionnaire évaluant leur disposition à servir, leur santé et leur aptitude, tandis que les femmes y participeraient sur une base volontaire.
Ce modèle hybride — entre conscription sélective et armée de métier — vise à moderniser l’ancienne logique du service militaire sans pour autant renoncer à la professionnalisation des forces armées. Il s’inscrit aussi dans une volonté de « réveil stratégique » de l’Allemagne, soutenue par une réforme budgétaire historique levée sur le frein à l’endettement, permettant de réinvestir massivement dans l’armement et l’équipement d’ici 2029.
Mais cette décision, si elle est mise en œuvre, ne sera pas sans conséquences sociétales. Le retour de la conscription, même partiel, soulève des débats sur l’égalité (hommes vs femmes), la liberté individuelle, le rapport des jeunes générations au service de l’État, et la capacité réelle de la Bundeswehr à intégrer des recrues peu préparées au métier des armes.
Face au retour de la guerre en Europe, les démocraties doivent-elles renoncer à une armée purement volontaire ? Et si oui, à quel prix politique et social ? L’Allemagne, pour la première fois depuis des décennies, semble prête à répondre « oui » — au nom de la souveraineté, de la sécurité collective et d’un nouveau rapport au devoir national.