La Serbie vit l’une des semaines les plus tendues de sa crise politique récente. Après neuf mois de manifestations majoritairement pacifiques contre la corruption et le gouvernement populiste d’Aleksandar Vučić, la colère a franchi un nouveau seuil : pour la deuxième nuit consécutive, plusieurs villes ont été le théâtre d’affrontements violents entre opposants et partisans du pouvoir, faisant des dizaines de blessés et près d’une cinquantaine d’arrestations.
Mercredi soir, les tensions se sont cristallisées à Belgrade, Novi Sad et Vrbas. Dans cette dernière ville, à 160 km au nord de la capitale, une attaque de partisans du Parti progressiste serbe (SNS, nationaliste) contre des manifestants antigouvernementaux a mis le feu aux poudres. Masqués pour la plupart, les deux camps se sont affrontés à coups de bouteilles, pierres et feux d’artifice.
À Novi Sad, berceau du mouvement de contestation, des groupes encagoulés ont dégradé les locaux du SNS : vitres brisées, jets d’œufs et de peinture. Devant le siège national du parti à Belgrade, les sympathisants pro-gouvernementaux, protégés par la police antiémeute, ont essuyé des tirs d’engins pyrotechniques, tandis que d’autres vidéos montraient des militants du SNS tirant eux-mêmes des feux d’artifice en direction de la foule.
Les violences ont atteint un point critique lorsqu’un membre de l’unité militaire d’élite « Kobre » a tiré un coup de semonce devant les bureaux du SNS à Novi Sad, provoquant la panique. L’officier a ensuite déclaré avoir été encerclé par « près de cent personnes » et craindre pour sa vie.
Selon le ministre de l’Intérieur Ivica Dačić, plus de 70 manifestants, 27 policiers et 7 membres de l’unité « Kobre » ont été blessés mercredi soir. Les affrontements ont également conduit à l’arrestation de près de 50 personnes à travers le pays, dont certaines dans des quartiers de Belgrade où la tension reste palpable.
Les deux camps s’accusent désormais ouvertement de chercher à « provoquer une guerre civile ». Aleksandar Vučić, tout en affirmant ne pas diriger officiellement le SNS, a dénoncé des attaques coordonnées contre ses partisans et promis de « sévères punitions » contre les fauteurs de troubles. Les étudiants à la tête du mouvement affirment au contraire que « le pouvoir a cherché à provoquer des affrontements » et accusent la police d’avoir protégé les militants pro-gouvernementaux.
La vague de colère trouve son origine en novembre 2024, lorsque l’effondrement du toit d’un auvent à la gare de Novi Sad a tué 16 personnes. Rapidement, la tragédie a été imputée à une corruption endémique et à l’impunité des élites. Depuis, des rassemblements parfois massifs — jusqu’à 140 000 personnes le 28 juin à Belgrade — ont secoué le pays.
Sous pression, le gouvernement a été remanié, le Premier ministre remplacé et plusieurs anciens ministres arrêtés. Mais les manifestants, majoritairement étudiants, exigent désormais la tenue d’élections anticipées, ce que Vučić refuse catégoriquement, y voyant un « complot étranger » visant à déstabiliser le pays.
Le Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU, par la voix de ses experts, a exprimé début août sa préoccupation face à une « répression intensifiée » contre les militants. Les violences de cette semaine marquent une escalade significative, alimentant les craintes d’un cycle de confrontation difficile à enrayer.
Alors que la contestation semblait jusqu’ici s’inscrire dans une dynamique non violente, la multiplication des affrontements, l’usage d’armes pyrotechniques et les interventions musclées des forces de l’ordre font planer l’ombre d’un embrasement durable. Pour l’heure, ni le pouvoir ni l’opposition ne semblent prêts à céder, et la rue reste le principal théâtre de ce bras de fer politique.