Lors de sa traditionnelle rencontre avec la presse nationale, le président algérien Abdelmadjid Tebboune s’est une fois de plus livré à un exercice d’équilibriste diplomatique, jonglant avec les superlatifs pour décrire les relations de l’Algérie avec le reste du monde. À l’entendre, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles : l’Espagne est redevenue une vieille amie – au point d’y commander quelques vaches pour garnir les étables –, l’Allemagne, l’Italie, la Pologne et même la Serbie chantent les louanges d’Alger, et les États-Unis, ces éternels cousins éloignés, « s’améliorent quotidiennement » dans leur idylle avec l’Algérie. Pas de jaloux côté Russie, Chine ou Inde : Tebboune rassure, le non-alignement est dans nos « gènes », et personne n’a osé nous « vassaliser ». Ouf, on respire, l’honneur est sauf !
Côté africain, le président a sorti sa plus belle plume panafricaniste, affirmant que nos « frères » du continent ont enfin compris que l’Algérie n’a « pas d’arrière-pensée ». Une révélation qui doit soulager Bamako, où la crise avec le Mali serait désormais de l’histoire ancienne – « un frère, pas juste un voisin », dixit le chef d’État, dans un élan presque émouvant. Quant au Maghreb, Tebboune rêve d’une organisation régionale pour combler ce « vide organisationnel » qui nous distingue si bien de nos voisins africains, déjà tous bien rangés dans leurs clubs sous-régionaux. Tunisie, Libye, Mauritanie : tous au garde-à-vous pour affronter ensemble les « défis communs » – reste à savoir si le premier défi ne sera pas de se mettre d’accord sur l’heure de la réunion.
On ne peut s’empêcher d’admirer cette vision d’une Algérie au centre du monde, ouverte à tous, en conflit avec personne, et dont les relations s’épanouissent comme des fleurs au printemps. Mais derrière ce tableau idyllique, on se demande si le président ne confond pas parfois diplomatie et conte de fées. Importer du bétail espagnol pendant que les USA nous envoient des clins d’œil et que le Mali nous serre dans ses bras : c’est beau, presque trop beau. Pendant ce temps, le citoyen lambda, lui, attend peut-être un peu moins de lyrisme international et un peu plus de concret dans son quotidien. Mais bon, comme le dit si bien Tebboune, on est en train de « rattraper tout ce qu’on a perdu » – espérons juste que ça inclue aussi les moutons pour l’Aïd, et pas seulement les accolades diplomatiques.
C’est un tableau magnifique, presque irréel, que peint le président. Une Algérie au centre d’un monde qui l’aime, la respecte, la courtise, sans jamais lui chercher noise. Mais derrière cette fresque digne d’une comédie romantique internationale, on ne peut s’empêcher de sourire – gentiment, bien sûr. Car si Tebboune excelle à vendre cette image d’une nation en harmonie avec la planète entière, le citoyen ordinaire, lui, risque de se gratter la tête en se demandant où est la traduction concrète de ces grandes déclarations. Des vaches espagnoles, des clins d’œil américains, des câlins maliens : c’est charmant, mais ça ne remplit pas forcément les assiettes ou les espoirs d’une population qui attend peut-être autre chose que des envolées lyriques. Et puis, ce rêve d’un Maghreb uni ou d’une Afrique conquise par le charme algérien, ça ressemble un peu à ces projets qu’on annonce en grande pompe avant de les ranger dans un tiroir, faute de mode d’emploi.
Tebboune, en bon chef d’orchestre, dirige cette symphonie diplomatique avec aplomb, mais on se demande parfois si les partitions sont bien accordées ou si le public – nous, les Algériens – n’est pas en train d’applaudir poliment en attendant le vrai spectacle : celui des résultats tangibles. En attendant, on lui laisse le micro et on écoute, amusés, cette belle histoire où l’Algérie est la reine incontestée d’un bal mondial où tout le monde veut danser avec elle. Reste à espérer que la prochaine valse ne se joue pas seulement dans les salons feutrés, mais aussi dans les rues d’Alger, de Bamako ou de Tunis.