Le Kenya fait face à une vague de critiques après avoir autorisé la tenue d’un événement impliquant les Forces de soutien rapide (FSR), groupe paramilitaire soudanais en conflit ouvert avec l’armée régulière du Soudan. Cet événement, prévu pour vendredi à Nairobi, vise à proclamer un gouvernement parallèle dans les territoires contrôlés par les FSR.
Le gouvernement soudanais et plusieurs personnalités politiques kényanes ont dénoncé cette initiative, affirmant qu’elle menaçait la souveraineté du Soudan et risquait d’aggraver une situation humanitaire déjà désastreuse. L’inaction apparente du président kényan William Ruto a été perçue par certains comme une légitimation d’un groupe accusé de violations graves des droits humains.
Le commandant adjoint des FSR, Abdul Rahim Dagalo, a signé la Charte fondatrice du Soudan au Centre international des congrès Kenyatta (KICC) à Nairobi, en présence de dirigeants politiques alliés aux FSR. Cette cérémonie a immédiatement suscité une réaction indignée du ministère soudanais des Affaires étrangères, qui a dénoncé l’événement comme une atteinte à la souveraineté de l’État soudanais.
Dans un communiqué, le ministère n’a déclaré que cette initiative « favorise le démembrement des États africains, viole leur souveraineté et constitue une ingérence inacceptable dans leurs affaires intérieures ». L’armée soudanaise, dirigée par le général Abdel Fattah al-Burhane, considère ce projet comme une tentative des FSR d’asseoir leur pouvoir sur les zones qu’ils contrôlent, notamment la région du Darfour et certaines parties du sud du pays.
Alors que le gouvernement kényan reste silencieux sur la polémique, certaines voix locales ont exprimé leur désapprobation face à la décision d’accueillir cet événement à Nairobi. Mukhisa Kituyi, ancien secrétaire général de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED), a vivement critiqué le président Ruto, déclarant que « ce qu’il fait est un abandon irresponsable de la prudence traditionnelle et de l’approche digne de la diplomatie kényane ».
Il a ajouté que cet événement revient à « légitimer un gang criminel qui a démembré des gens », soulignant les nombreuses exactions dont les FSR sont accusées depuis le début du conflit en avril 2023. La guerre entre l’armée soudanaise et les FSR a causé la mort de dizaines de milliers de personnes et a déplacé plus de 12 millions de réfugiés, aggravant la plus grande crise humanitaire actuelle selon l’Union africaine.
Les accusations contre les FSR ne sont pas nouvelles. Depuis le début du conflit, ce groupe paramilitaire est régulièrement accusé de crimes de guerre, d’exécutions de masse à caractère ethnique, de violences sexuelles et d’autres violations graves des droits humains. En janvier 2025, les États-Unis ont officiellement qualifié les actes des FSR au Darfour de génocide et ont imposé des sanctions à leur chef, Mohamed Hamdane Daglo, ainsi qu’au général Abdel Fattah al-Burhane.
Ces accusations n’ont pas empêché les FSR de chercher à renforcer leur position sur la scène politique en collaborant avec diverses factions politiques pour instaurer un gouvernement parallèle dans les zones sous leur contrôle. Cette démarche pourrait accentuer la fragmentation du Soudan et compliquer davantage les efforts diplomatiques visant à mettre fin au conflit.
Le Kenya a historiquement joué un rôle clé dans les négociations de paix en Afrique de l’Est, notamment en accueillant les accords de paix qui ont mis fin à la deuxième guerre civile soudanaise il y a 20 ans. Toutefois, l’accueil de cette réunion controversée à Nairobi jette une ombre sur sa réputation diplomatique.
Selon Abdullahi Boru Halakhe, avocat et expert de Refugees International, cet événement « fait voler en éclat l’image que le Kenya aime à projeter en tant que médiateur régional. C’est de la diplomatie de bas étage dont on ne revient pas ». L’inaction du gouvernement kényan face aux critiques pourrait avoir des répercussions sur ses relations avec d’autres États africains et les organisations internationales impliquées dans la résolution du conflit soudanais.
Alors que la réunion des FSR a été reportée à vendredi, la présence attendue du général Mohamed Hamdane Daglo à Nairobi risque d’attiser davantage les tensions. Son apparition publique serait une provocation directe envers le gouvernement soudanais et pourrait inciter ce dernier à prendre des mesures de rétorsion diplomatiques contre le Kenya.