Le temple Shaolin, berceau du kung-fu et symbole millénaire du bouddhisme zen en Chine, est secoué par un scandale majeur impliquant son abbé, Shi Yongxin. Surnommé le « moine patron » pour son approche entrepreneuriale, il est aujourd’hui accusé de détournement de fonds, de relations inappropriées avec plusieurs femmes et de paternité d’enfants illégitimes, en violation manifeste des préceptes bouddhistes.
Shi Yongxin, de son nom séculier Liu Yingcheng, est né en 1965 dans la province de l’Anhui. Entré au temple Shaolin en 1981 à l’âge de 16 ans, il gravit rapidement les échelons pour devenir abbé en 1999. Détenteur d’un MBA, il incarne un paradoxe : moine et gestionnaire, figure spirituelle et acteur économique. Sous sa direction, le temple s’est transformé en une marque mondiale : spectacles de kung-fu à l’international, écoles à l’étranger, entreprises de cinéma et de tourisme, production de livres, vêtements et autres produits dérivés. Ce développement fulgurant a généré des revenus considérables — estimés à plus de 100 millions de yuans par an rien que pour le tourisme à Songshan
Shi Yongxin a par ailleurs occupé des fonctions politiques influentes, notamment comme représentant à l’Assemblée nationale populaire jusqu’en 2018, et vice-président de l’Association bouddhiste de Chine depuis 2002. Ses relations avec les élites politiques et économiques, tout comme ses rencontres avec des figures internationales telles que la reine Elizabeth II, Nelson Mandela ou le pape François, ont renforcé son image de moine moderne et influent, mais aussi controversé.
un communiqué publié le 27 juillet 2025sur le compte officiel du temple Shaolin a confirmé que l’abbé faisait l’objet d’une enquête conjointe menée par plusieurs agences gouvernementales pour des infractions pénales présumées. Les accusations qui pèsent sur lui sont particulièrement graves. Il est notamment soupçonné d’avoir détourné des fonds initialement destinés à des projets monastiques au profit de sociétés commerciales liées au temple, parmi lesquelles figurent Henan Shaolin Intangible Asset Management et Dengfeng Shaolin Pharmacy. Si le montant exact des sommes détournées n’a pas été précisé, des fuites évoquent des irrégularités financières massives et répétées sur plusieurs années.
Parallèlement à ces soupçons de malversations financières, Shi Yongxin est accusé de graves violations des vœux monastiques. En contradiction directe avec le principe de célibat auquel tout moine bouddhiste est tenu, il aurait entretenu des relations prolongées avec plusieurs femmes et serait le père de plusieurs enfants non reconnus. Ces faits, s’ils sont avérés, constitueraient une trahison majeure des fondements éthiques du bouddhisme, qui valorise la discipline intérieure, la pureté morale et la renonciation aux attachements terrestres. À ces écarts s’ajoutent des critiques sur son mode de vie jugé ostentatoire, incompatible avec l’idéal monastique. D’anciens disciples affirment qu’il menait une existence luxueuse, possédant plusieurs véhicules haut de gamme et arborant des vêtements somptueux, tel un manteau brodé de fils d’or. Un SUV offert par des autorités locales, déjà mentionné en 2006, est devenu l’un des symboles les plus médiatisés de ce faste dérangeant.
Face à l’ampleur de ces révélations, la réaction des autorités religieuses et politiques ne s’est pas fait attendre. L’ouverture simultanée d’enquêtes administratives et pénales traduit un net désengagement de la part des instances étatiques, autrefois bienveillantes à son égard. Cette convergence entre pouvoir séculier et autorité religieuse marque une rupture : l’impunité tacite dont Shi Yongxin semblait jouir jusqu’ici s’effondre, au profit d’une volonté affichée de restaurer une certaine rigueur morale. Au-delà de son cas personnel, c’est la question plus vaste de la marchandisation du sacré qui est désormais posée. Ce qui fut longtemps toléré, voire encouragé sous prétexte de rayonnement culturel, ne saurait plus servir de prétexte aux compromissions les plus flagrantes avec l’éthique et la loi.
L’Association bouddhiste de Chine a annoncé la révocation du certificat d’ordination de Shi Yongxin, une mesure rare équivalente à son exclusion officielle du clergé. Dans son communiqué, elle a condamné les actes de l’ancien abbé comme étant « extrêmement répréhensibles » et gravement nuisibles à la réputation du bouddhisme chinois. Cette décision marque un tournant dans l’affaire, et semble confirmer que les protections institutionnelles dont bénéficiait jusque-là le « moine patron » sont en train de s’effondrer.
Les accusations actuelles ravivent d’ailleurs celles de 2015, qui avaient déjà ébranlé l’image de l’abbé, sans toutefois entraîner de véritables sanctions à l’époque. La différence aujourd’hui réside dans la fermeté des réactions officielles, laissant penser que le système politique lui-même n’entend plus couvrir les dérives d’un personnage devenu trop gênant.
Parallèlement à l’enquête, des rumeurs virales — rapidement démenties par le Bureau de la sécurité publique de Kaifeng — ont circulé sur les réseaux sociaux, affirmant que Shi Yongxin aurait tenté de fuir à Los Angeles avec 34 personnes, dont ses maîtresses et enfants. Amplifiées par des vidéos générées par intelligence artificielle sur des plateformes comme Douyin et Kuaishou, ces fausses informations illustrent l’emballement médiatique et l’ampleur du discrédit qui entoure désormais la figure autrefois respectée du maître de Shaolin.
Certains observateurs suggèrent également que la chute du moine pourrait être liée à un épisode diplomatique discret : sa visite au Vatican en février 2025, qui aurait eu lieu sans l’aval des autorités chinoises. Bien que non confirmée, cette hypothèse alimente la lecture politique de l’affaire, dans un contexte où le Parti communiste chinois exerce un contrôle strict sur toutes les expressions religieuses, en particulier celles qui bénéficient d’une audience internationale.