Nairobi, 17 juin 2025 – Le Kenya est en proie à une vague d’indignation nationale depuis la mort en détention d’Albert Ojwang, un blogueur connu pour ses critiques acerbes envers le pouvoir. Ce tragique événement, survenu le 14 juin, a déclenché une série de manifestations violentes dans la capitale Nairobi et dans plusieurs grandes villes du pays. Au cœur de la colère : l’impunité présumée des forces de l’ordre, les atteintes répétées à la liberté d’expression, et une justice perçue comme partielle.
Albert Ojwang, 34 ans, avait été arrêté le 6 juin pour « diffusion de fausses informations et diffamation » après la publication sur son blog d’un article accusant le vice-inspecteur général de la police, Eliud Lagat, d’implication dans des affaires de corruption. Son décès en détention avait initialement été présenté par les autorités comme la conséquence d’un accident survenu lors d’une chute dans sa cellule. Mais une autopsie indépendante, demandée par sa famille, a révélé des hématomes importants à la tête, des traces de strangulation et une compression du cou — des signes compatibles avec une mort par violence, voire une exécution extrajudiciaire.
En réaction, des centaines de citoyens sont descendus dans les rues de Nairobi dès le matin du 17 juin pour protester contre les abus policiers et exiger justice. Les slogans scandés réclamaient la fin de la brutalité policière, la démission des responsables sécuritaires impliqués, et des réformes institutionnelles immédiates.
Les manifestations, d’abord pacifiques, ont rapidement tourné à l’affrontement. Selon l’Associated Press, un manifestant a été abattu à bout portant par un policier masqué. Dix autres personnes ont été blessées par balles et prises en charge au Kenyatta National Hospital. Des vidéos relayées sur les réseaux sociaux montrent également des groupes de motocyclistes non identifiés, armés de fouets et de bâtons, attaquant les manifestants, sous les yeux passifs — voire complices — des forces de sécurité. Un véhicule a été incendié dans les heurts.
Réactions politiques et suspension du vice-inspecteur général
Face à la pression populaire et médiatique, le président William Ruto s’est exprimé dans une allocution solennelle. Il a reconnu que la mort d’Ojwang était « survenue de la main de la police » et l’a qualifiée d’« inacceptable, dévastatrice et contraire aux valeurs de notre République ». Dans la foulée, le vice-inspecteur général Eliud Lagat a été suspendu, et deux policiers soupçonnés d’avoir participé aux violences ont été placés en détention provisoire.
Cependant, pour de nombreux Kényans et organisations de défense des droits de l’homme, ces mesures ne suffisent pas. Amnesty International, ainsi que la Commission kényane des droits humains (KHRC), dénoncent une répression institutionnalisée, des violences systématiques et une impunité endémique des forces de l’ordre. Elles exigent la création d’un tribunal spécial indépendant pour enquêter sur les violences policières.
Les manifestations ne se sont pas limitées à Nairobi. Des rassemblements massifs ont également été signalés à Mombasa, Kisumu, Nakuru et Eldoret, où des affrontements ont opposé manifestants et forces de l’ordre. Des scènes de chaos ont été observées, avec des magasins pillés, des routes bloquées et une paralysie quasi totale des transports publics dans certaines zones.
Pour de nombreux observateurs, ces événements traduisent un ras-le-bol croissant vis-à-vis des institutions sécuritaires, perçues comme oppressives, corrompues et insensibles à la souffrance de la population. Les jeunes, en particulier, se mobilisent massivement. Sur les réseaux sociaux, le hashtag #JusticeForOjwang est devenu viral, cristallisant les frustrations autour de la liberté d’expression et du droit à la vérité.
La communauté internationale suit avec attention l’évolution de la situation. L’Union africaine, les Nations unies et l’Union européenne ont toutes publié des communiqués appelant le gouvernement kényan à garantir le droit de manifester pacifiquement, à assurer une enquête impartiale sur les circonstances de la mort d’Ojwang et à respecter les normes internationales en matière de droits humains.
Le gouvernement Ruto est désormais à la croisée des chemins. S’il ne parvient pas à répondre rapidement aux attentes de justice et de transparence, il risque de voir la situation lui échapper davantage, au risque d’une instabilité prolongée. La mise en place rapide d’un mécanisme indépendant d’enquête, des poursuites judiciaires crédibles et une réforme structurelle des forces de sécurité sont désormais des impératifs incontournables pour éviter une escalade.