En Syrie, la campagne anticorruption d’al-Charaa tourne à la purge interne : le frère sacrifié, les cadres humiliés, et le pouvoir resserré autour du nouveau “clan présidentiel”.
Ahmed al-Charaa, l’ex-rebelle autrefois connu sous le nom d’Abu Muhammad al-Julani, recyclé en président tout-puissant, nous joue la grande scène de l’anticorruption impitoyable, frappant même son entourage proche. Selon Reuters, il a ordonné la fermeture du bureau de son frère aîné, Jamal al-Charaa, à Damas, désormais scellé à la cire rouge – symbole traditionnel des saisies lors d’enquêtes pour corruption – et interdit toute collaboration gouvernementale avec lui.
Les faits sont têtus et parlent d’eux-mêmes. Jamal al-Charaa, l’aîné sans poste officiel, avait ouvert un bureau à Damas pour orchestrer ses affaires : import-export, tourisme, et des raouts douteux avec hommes d’affaires et officiels syriens. Accusé d’exploiter les liens familiaux pour gonfler ses poches, son antre a été fermé sur ordre direct du président en août dernier. La cire rouge sur la porte – symbole ancestral des saisies en cas de corruption – en dit long sur l’ampleur du scandale.
Le ministère de l’Information a confirmé : Jamal n’occupe aucun poste et toute collaboration gouvernementale avec lui est interdite. Des sources proches, dont des officiels et des milieux d’affaires, évoquent une exploitation flagrante de la parenté pour des gains illicites.
Cette mise en scène s’est doublée d’une opération spectaculaire à Idlib, le fief historique de l’ex-HTS (Hay’at Tahrir al-Sham). Le 30 août, al-Charaa a réuni plus de 100 fidèles : ex-commandants, officiels et notables. Devant une mer de Cadillac Escalade, Range Rover et Chevrolet Tahoe, il a feint l’indignation : « Je ne savais pas que les salaires du gouvernement étaient si élevés ! Avez-vous oublié que vous êtes les fils d’une révolution ? ». Sous la pression, plusieurs cadres ont remis les clés de leurs voitures de luxe sur-le-champ, sous peine d’enquête pour enrichissement illicite. Mais qui a distribué ces jouets ? Le ministère de l’Information a tenté de minimiser l’affaire, il s’agissait d’une « rencontre cordiale » pour discuter des défis sécuritaires et de la culture d’investissement du régime précédent. Mais les observateurs dénoncent une intimidation calculée, un rappel de qui détient réellement le pouvoir. En réalité, cette campagne sélective révèle une volonté de masquer le népotisme sous couvert de moralité et d’efficacité.
Cette croisade anticorruption s’arrête aux portes du palais présidentiel. Les deux autres frères d’al-Charaa, Hazem et Maher, occupent des postes stratégiques et échappent aux purges. Hazem supervise les investissements étrangers et locaux, pilote un comité économique secret et gère un fonds souverain rattaché directement à la présidence. Maher, gynécologue de formation et titulaire d’une double nationalité syro-russe, est secrétaire général de la présidence depuis avril 2025 et joue un rôle clé dans les négociations internationales, y compris avec Vladimir Poutine. La mise en scène de l’anticorruption ne touche donc que les « brebis galeuses », tandis que le noyau familial reste intact.
Cependant, derrière cette façade de réforme, la corruption persiste et se transforme en instrument de contrôle. Les membres du comité anticorruption ont eux-mêmes été détenus pour suspicion de malversations, sans arrestation formelle. Des entrepreneurs rapportent des pots-de-vin pour débloquer des dossiers ou libérer des employés. À Idlib, la confiscation des voitures de luxe n’a été qu’un avertissement ciblé. Le message est clair : on discipline le troupeau, mais on protège les intimes.
Ainsi, ce qui se présente comme une transition démocratique et une croisade morale n’est en réalité qu’un coup d’État familial déguisé en révolution. Al-Charaa consolide son clan au cœur du pouvoir, élimine les rivaux sous prétexte de moralité et transforme l’anticorruption en outil de théâtre politique. Ce népotisme évoque le clan Assad. Les analystes craignent un retour des réseaux familiaux, sapant la transition civile. Après la chute d’Assad en décembre 2024, on écarte les baasistes, on installe les nôtres. Parlement, armée, services de sécurité dissous ; Constitution abrogée. La Syrie, entre espoir et chaos, se retrouve face à un paradoxe cruel, un dirigeant anciennement qualifié de terroriste se pare des atours du réformateur, tout en perpétuant les mêmes logiques de népotisme et de contrôle autoritaire.
Chaque voiture de luxe confisquée, chaque bureau scellé, chaque avertissement public est un pas de plus vers la consolidation d’un pouvoir familial et militaire, au détriment des promesses de la révolution. Reste à voir si la Syrie pourra un jour se libérer de ce jeu de masques et survivre à ce théâtre de faux justiciers.

























