Le mardi 11 mars 2025 restera gravé dans l’histoire des Philippines comme le jour où Rodrigo Duterte, ancien président au tempérament volcanique et figure controversée, a été arrêté à l’aéroport international de Manille. L’homme de 79 ans, qui rentrait d’un court voyage à Hong Kong, a été intercepté par les autorités philippines à la descente de son avion, sous les regards médusés des passagers et des médias locaux. Cette arrestation spectaculaire découle d’un mandat émis par la Cour pénale internationale (CPI), qui accuse Duterte de « crimes contre l’humanité de meurtre » en lien avec sa guerre impitoyable contre le trafic de drogue, menée durant son mandat de 2016 à 2022.
Le palais présidentiel a rapidement publié un communiqué confirmant l’opération : « Tôt ce matin, Interpol Manille a reçu une copie officielle du mandat d’arrêt de la CPI. L’ancien président est désormais sous la garde des autorités et bénéficie d’un suivi médical. » L’arrestation, bien que conforme aux obligations internationales des Philippines envers Interpol, a immédiatement suscité des remous. Les avocats de Duterte, menés par Salvador Panelo, son ancien conseiller juridique, ont dénoncé une « violation flagrante de la souveraineté nationale », arguant que la CPI n’a plus de légitimité sur le pays depuis son retrait officiel en 2019, une décision prise par Duterte lui-même.
Ce retrait n’a cependant pas empêché la CPI de poursuivre son enquête, estimant que les crimes présumés, commis avant 2019, relèvent toujours de sa juridiction. Suspendue en 2021 après des promesses de Manille de rouvrir des enquêtes internes sur les exécutions extrajudiciaires, l’investigation a repris de plus belle en juillet 2023, la CPI ayant jugé insuffisantes les efforts du gouvernement philippin pour rendre justice aux victimes.
Au cœur de l’affaire se trouve la politique antidrogue de Duterte, lancée comme promesse électorale en 2016 et exécutée avec une brutalité sans précédent. Officiellement, la police philippine a recensé plus de 6 000 morts lors d’opérations antidrogue, mais les organisations de défense des droits humains, telles que Human Rights Watch, estiment que le bilan réel pourrait dépasser les 30 000 victimes. Ces chiffres incluent non seulement des suspects abattus par les forces de l’ordre, mais aussi des assassinats perpétrés par des escadrons de la mort, souvent avec l’aval implicite ou explicite de Duterte. « Si vous êtes un dealer, je vous tuerai moi-même », avait-il déclaré lors d’un discours mémorable en 2016, un avertissement suivi d’une vague de violence qui a particulièrement frappé les communautés pauvres.
Les critiques internationales ont qualifié cette campagne de « génocide social », soulignant que les victimes, souvent des jeunes hommes sans ressources, étaient rarement jugées et encore moins condamnées par des preuves solides. Duterte, lui, s’est toujours défendu en affirmant avoir sauvé les Philippines d’un destin de « narco-État », une rhétorique qui a résonné auprès d’une large frange de la population lassée par la corruption et l’insécurité.
Malgré ces accusations, Duterte conserve une influence considérable et une popularité tenace, notamment dans son fief de Davao, où il a été maire pendant plus de vingt ans avant son ascension à la présidence. Dimanche dernier, lors d’un discours devant des travailleurs philippins expatriés à Hong Kong, il n’a pas mâché ses mots envers la CPI : « Ces fils de putes peuvent bien venir me chercher, je les attends. Mais si c’est mon destin, je l’accepterai. » Cette bravade, typique de son style, a été accueillie par des applaudissements nourris, témoignant de son emprise intacte sur une partie de l’électorat.
Cette arrestation intervient alors qu’il préparait son retour politique, visant à reconquérir le poste de maire de Davao lors des élections de mi-mandat en mai 2025. Ses partisans, déjà mobilisés, pourraient transformer cette affaire en un cri de ralliement, tandis que ses détracteurs y voient une chance historique de mettre fin à son impunité.
L’administration actuelle, dirigée par Ferdinand Marcos Jr., s’est retrouvée dans une position délicate. Bien que Marcos ait publiquement rejeté toute collaboration directe avec la CPI, la sous-secrétaire d’État à la communication, Claire Castro, avait prévenu dimanche que le gouvernement « serait forcé de se plier aux demandes d’Interpol si elles étaient formulées ». Cette arrestation révèle ainsi une tension entre les pressions internationales et les dynamiques internes, où Marcos doit jongler avec l’héritage de Duterte – dont la fille, Sara Duterte, est vice-présidente – et les attentes d’une population divisée.
Sur le plan intérieur, la justice philippine a jusqu’ici échoué à confronter pleinement les abus de la guerre contre la drogue. Seuls neuf policiers ont été condamnés pour des exécutions sommaires, une goutte d’eau face à l’ampleur des violences. Duterte, qui s’est autoproclamé « tueur » sans remords, a toujours revendiqué ses actions comme un mal nécessaire. Lors d’une enquête sénatoriale en octobre 2024, il avait martelé : « Je n’ai aucune excuse à faire. J’ai agi pour mon pays, et je le referais si c’était à refaire. »