L’Allemagne, autrefois phare de l’humanisme pour les réfugiés, a brisé un tabou moral en lançant l’expulsion de Syriens condamnés pour délits graves ou étiquetés « dangereux » – une première dans l’Union européenne depuis le début de la guerre civile syrienne en 2011. Portée par la coalition CDU-SPD du chancelier Friedrich Merz et du ministre de l’Intérieur Alexander Dobrindt, cette décision calque l’exemple autrichien, qui a renvoyé un Syrien condamné le 3 juillet.
Le ministère de l’Intérieur justifie cette mesure par la nécessité de « restaurer la confiance » dans le système d’asile. Entre janvier et mai 2025, l’Office fédéral des migrations et des réfugiés (BAMF) a ouvert plus de 3 500 procédures pour réexaminer les statuts de protection des Syriens, révoquant 57 statuts de réfugié et 22 protections subsidiaires. « Ceux qui commettent des crimes ne méritent pas notre hospitalité », clame un porte-parole, comme si la justice pénale ne suffisait pas à sanctionner les délits. Ce discours populiste, qui fait des Syriens des boucs émissaires, masque une réalité : l’Allemagne cède aux sirènes de l’extrême droite, galvanisée par la montée de l’AfD, pour qui l’immigration est un épouvantail électoral.
Les autorités affirment négocier avec le nouveau régime islamiste de Damas pour organiser ces retours, via des canaux diplomatiques opaques, sans reconnaissance officielle du gouvernement syrien. Mais comment peut-on garantir la sécurité des expulsés dans un pays encore instable, où les risques de torture, de détention arbitraire ou d’enrôlement forcé restent patents ? Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) est catégorique : la Syrie n’est pas un pays sûr, et ces expulsions violent le principe de non-refoulement, pilier de la Convention de Genève.
Depuis 2015, l’Allemagne a accueilli près d’un million de Syriens fuyant la guerre civile, un geste salué comme un modèle d’humanisme sous Angela Merkel. Aujourd’hui, ce même pays tourne le dos à cet héritage. En suivant l’exemple autrichien – qui a expulsé un Syrien de 32 ans condamné, déchu de son statut de réfugié en 2019 – Berlin sacrifie les droits humains sur l’autel de la realpolitik. Amnesty International et la FIDH dénoncent une « politique cynique » qui privilégie la sécurité perçue au détriment des obligations internationales. Envoyer des individus, même condamnés, dans un pays où règnent l’incertitude et la violence est une abdication morale. Que devient l’idéal européen lorsque les droits fondamentaux sont négociables ?
À l’approche des élections régionales de 2026, le gouvernement Merz cherche à désamorcer la montée de l’AfD en adoptant son discours anti-migrants. En ciblant les Syriens – et les Afghans, également visés par des négociations avec les Talibans – Berlin flatte les instincts xénophobes d’une partie de l’électorat. Les statistiques brandies, comme les 40 % de Syriens, Afghans et Irakiens impliqués dans les 11 500 cas de viols en 2022, servent à justifier cette chasse aux « délinquants » sans nuance ni contexte. Mais cette surreprésentation, si elle est réelle, reflète-t-elle une criminalité inhérente ou les conditions d’exclusion et de précarité imposées à ces populations ? Le gouvernement préfère l’amalgame à l’analyse.
Pour les près d’un million de Syriens en Allemagne, cette politique installe une menace permanente. Leur droit d’asile, autrefois symbole de protection, devient conditionnel, soumis aux aléas de la politique intérieure et des faits divers. Chaque condamnation, même mineure, pourrait désormais servir de prétexte à une expulsion. Cette précarisation des statuts, couplée à la suspension du regroupement familial pour les bénéficiaires de la protection subsidiaire, transforme les réfugiés en citoyens de seconde zone, vivant sous la menace constante d’un renvoi.
L’Allemagne, en emboîtant le pas à l’Autriche, ouvre une boîte de Pandore. D’autres pays, comme le Danemark, qui a révoqué des statuts de Syriens dès 2021 en jugeant certaines zones de Syrie « sûres », pourraient suivre. Cette course au durcissement des politiques migratoires, portée par la montée des droites nationalistes, menace de démanteler le système d’asile européen. Si l’Allemagne, pilier de l’UE, cède à cette logique, quel pays résistera à la tentation de sacrifier les principes humanitaires pour des gains électoraux ?