Le 31 mai 2025, les ministres des Affaires étrangères de l’Algérie (Ahmed Attaf), de la Tunisie (Mohamed Ali Nafti) et de l’Égypte se sont réunis au Caire pour relancer le mécanisme tripartite sur la Libye, une plateforme régionale de coordination gelée depuis 2019. Cette initiative vise à promouvoir une « solution libo-libyenne » à une crise qui perdure depuis la chute de Mouammar Kadhafi en 2011. Elle mise sur la tenue d’élections simultanées, l’unification des institutions et le rejet des interventions étrangères. Mais derrière cette relance diplomatique, se cachent des divergences stratégiques, des intérêts concurrents, et surtout une impuissance persistante de l’Algérie, autoproclamée moteur du trio.
Officiellement, le mécanisme tripartite ambitionne de coordonner les efforts pour instaurer un dialogue inclusif et préserver la souveraineté libyenne. Le communiqué publié à l’issue de la rencontre au Caire insiste sur l’urgence d’organiser des élections présidentielles et législatives, d’apaiser les tensions à Tripoli — récemment secouée par des affrontements entre milices — et de s’opposer aux interventions étrangères.
Cependant, l’unité affichée masque mal des orientations fondamentalement divergentes. L’Égypte, fidèle à sa doctrine sécuritaire, soutient résolument le maréchal Khalifa Haftar, chef de l’Armée nationale libyenne (ANL), qu’elle considère comme un rempart contre les Frères musulmans. Ce soutien fragilise toute prétention à une médiation neutre, d’autant que Haftar demeure l’un des principaux opposants au Gouvernement d’unité nationale (GUN) de Tripoli, appuyé par l’ONU, la Turquie et l’Italie.
La Tunisie, engluée dans une profonde crise économique et institutionnelle sous Kaïs Saïed, adopte quant à elle une posture de neutralité prudente. Elle subit les répercussions directes du conflit : afflux massif de réfugiés libyens (entre 200 000 et 400 000 entre 2011 et 2015), intensification de la contrebande de carburant, et insécurité croissante dans les zones frontalières. Mais faute de moyens diplomatiques ou militaires, son rôle se limite à une présence symbolique, sans capacité à peser sur le fond du dossier.
De son côté, l’Algérie se veut le chef de file du trio, prônant un dialogue intégrant toutes les parties, y compris les factions islamistes, et condamnant toute ingérence étrangère. Héritée de l’ère Bouteflika, cette position s’inscrit dans une logique de préservation de la souveraineté libyenne et de prévention des effets de débordement sécuritaire le long de sa frontière de plus de 1 000 km. En pratique, cette posture équilibrée, présentée comme un atout, se révèle être un handicap.
Depuis 2014, Alger revendique avoir maintenu le dialogue avec l’ensemble des factions libyennes, des milices de Tripoli aux forces de Haftar. Des pourparlers ont même été organisés en 2017. Pourtant, cette neutralité, dépourvue de leviers militaires ou économiques concrets, s’est traduite par une absence totale d’impact sur les dynamiques du conflit. Face aux drones turcs, aux mercenaires du groupe Wagner ou aux frappes émiraties, la diplomatie algérienne reste cantonnée à des protestations de principe. Comme l’a souligné Raouf Farrah, analyste à la Global Initiative against Transnational Organized Crime, « l’Algérie a une vision diplomatique, mais elle n’a ni les moyens ni la puissance pour la concrétiser face à des acteurs plus agressifs » (Africanews, 2024).
L’Algérie continue de dénoncer les interventions extérieures, notamment les frappes des Émirats arabes unis en 2014 ou l’implication turque aux côtés du GUN. Cette ligne diplomatique, fidèle à la tradition de non-alignement algérien, lui confère une légitimité morale dans certains cercles africains et arabes. Mais dans le théâtre libyen, elle reste sans effet. Les puissances étrangères disposent de moyens militaires et financiers considérables qui leur assurent une présence et une influence durable. En comparaison, Alger, dépourvue de toute capacité de projection, se contente de déclarations sans suite.
La médiation algérienne illustre cette impuissance. En misant sur une neutralité abstraite, sans contreparties concrètes, elle s’isole et se prive de toute marge de manœuvre. Les pourparlers organisés depuis 2014 n’ont débouché sur aucun accord significatif, et la tentative d’intégrer les islamistes dans le processus politique, sans cadre opérationnel, suscite la méfiance de partenaires comme l’Égypte, rendant le mécanisme tripartite dysfonctionnel.
En définitive, la relance du mécanisme tripartite au Caire, loin de marquer un tournant décisif, révèle surtout les limites d’une diplomatie régionale désarmée. L’Algérie, malgré sa proximité géographique et son implication déclarée, reste marginale face aux acteurs qui dictent réellement le cours du conflit. Ni la Tunisie ni l’Égypte ne semblent disposées à sortir de leurs logiques nationales pour adopter une stratégie concertée, et les puissances étrangères continuent d’imposer leurs agendas en Libye.
L’ambition algérienne de mener une médiation inclusive se heurte à une réalité implacable : celle d’un pays sans moyens, sans alliances solides, et sans influence décisive. Sauver la Libye ? Le trio s’agite, mais l’issue reste désespérément floue.