Alors que la bande de Gaza continue de sombrer dans une crise humanitaire sans précédent, les regards se tournent vers le point de passage de Rafah, entre l’Égypte et le sud de Gaza. Le Caire affirme que son côté de la frontière reste ouvert, mais en réalité, l’accès au territoire palestinien est bloqué depuis qu’Israël a pris le contrôle du côté palestinien du passage, dans le cadre de sa guerre contre le Hamas entamée en octobre 2023.
Dans ce contexte tendu, les autorités égyptiennes ont empêché jeudi des dizaines de militants internationaux de participer à une marche pacifique de solidarité vers Gaza. L’événement, organisé depuis plusieurs mois, visait à attirer l’attention internationale sur le blocus israélien et à exiger l’entrée de l’aide humanitaire dans l’enclave assiégée.
Les militants, venus de divers pays européens et du Maghreb, prévoyaient de parcourir une cinquantaine de kilomètres depuis la ville d’Al-Arich, dans le nord du Sinaï, jusqu’au poste frontière de Rafah. Selon leurs organisateurs, cette initiative devait exercer une pression morale et médiatique pour contraindre à la réouverture effective du passage et soutenir un cessez-le-feu.
Mais les autorités égyptiennes ont rapidement interrompu cette initiative. Plus de 70 personnes, pour la plupart détentrices de passeports européens, ont été expulsées à leur arrivée à l’aéroport du Caire. D’autres, bloquées à l’hôtel ou en transit, ont été empêchées de rejoindre le nord du Sinaï. Des avocats et des militants d’Algérie, de Tunisie, d’Allemagne, de France et d’Italie figurent parmi les expulsés. Les diplomaties étrangères, dont la France, ont réagi en assurant un suivi consulaire étroit, tout en appelant leurs ressortissants à éviter les zones sensibles.
Un responsable égyptien, cité sous couvert d’anonymat, a justifié les expulsions par le fait que les participants ne disposaient pas « des autorisations nécessaires ». Le ministère égyptien des Affaires étrangères, de son côté, a rappelé que l’Égypte « a le droit de prendre toutes les mesures nécessaires pour préserver sa sécurité nationale, en particulier dans les zones frontalières sensibles ».
Officiellement, l’Égypte a critiqué à plusieurs reprises les restrictions israéliennes à l’entrée de l’aide à Gaza et appelé à la fin du conflit. Mais dans les faits, Le Caire maintient un équilibre délicat entre solidarité humanitaire et impératifs sécuritaires, notamment dans le Sinaï, théâtre de tensions et d’insurrections passées.
Le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi craint également que toute forme de mobilisation populaire en faveur de Gaza ne ravive les tensions internes ou ne nuise à ses relations stratégiques avec Israël et les États-Unis. Des critiques trop virulentes contre Tel-Aviv sont souvent réprimées, en particulier lorsqu’elles remettent en cause les accords de coopération sécuritaire et économique signés entre l’Égypte et Israël depuis les années 1980.
L’exécutif israélien, lui, voit dans cette mobilisation une menace. Israël Katz, ministre israélien des Affaires étrangères, a qualifié les manifestants de « djihadistes », les accusant de mettre en danger « le régime égyptien » et de représenter une menace pour tous les régimes arabes modérés.
Sur le terrain, la situation humanitaire à Gaza continue de se dégrader. Malgré une légère reprise de l’entrée d’aide humanitaire le mois dernier, les experts estiment ces efforts largement insuffisants.
Selon l’IPC (Integrated Food Security Phase Classification), près d’un demi-million de Palestiniens risquent de mourir de faim, tandis qu’un million d’autres survivent dans des conditions de malnutrition aiguë. L’ONU et de nombreuses ONG parlent d’un risque de famine imminent, si le blocus israélien n’est pas levé.
Israël rejette ces avertissements, affirmant que les évaluations précédentes de l’IPC « se sont révélées infondées ». Pourtant, les chiffres sur le terrain sont accablants : hôpitaux détruits, accès à l’eau potable coupé, files d’attente interminables pour de rares distributions de vivres.
Malgré les blocages, les organisateurs de la Marche mondiale pour Gaza ont annoncé qu’ils ne renonçaient pas. Ils se disent prêts à fournir toutes les garanties demandées par les autorités égyptiennes afin que la marche puisse se tenir pacifiquement.
Dans un communiqué, ils soulignent que leur objectif reste inchangé : faire entendre la voix des civils palestiniens, appeler à la levée du siège et contribuer à briser l’indifférence diplomatique.