Le 22 juillet 2025, la première visite en Tunisie de Massad Boulos, conseiller spécial pour l’Afrique auprès du président américain Donald Trump, a secoué une diplomatie tunisienne jusque-là engourdie. Accompagné de Joshua Harris, secrétaire d’État adjoint pour l’Afrique du Nord, cet Américain d’origine libanaise, fraîchement débarqué des Émirats arabes unis, a inauguré à Tunis la première étape d’une tournée régionale au Maghreb. Loin d’être une simple formalité protocolaire, cette rencontre avec le président Kaïs Saïed a mis en lumière les tensions qui traversent la politique étrangère tunisienne, tiraillée entre un engagement humanitaire affiché et les pressions d’une superpuissance déterminée à imposer ses priorités stratégiques et économiques.
En brandissant les images des enfants martyrs de Gaza, Kaïs Saïed a capté l’émotion d’une opinion publique profondément sensible à la cause palestinienne. Ce geste, chargé de symbolisme, s’inscrit dans une rhétorique nationaliste visant à consolider sa légitimité intérieure. Pourtant, il peine à masquer une réalité plus amère : cette posture compassionnelle agit comme un voile, incapable de dissimuler l’impuissance de la Tunisie face aux exigences américaines. Pendant que le président tunisien joue la carte de l’émotion, Massad Boulos, flanqué de Joshua Harris, a exposé sans détour l’agenda de Washington : une pression accrue sur les droits de douane pour faciliter l’accès des produits américains et une invitation insistante à rejoindre les accords d’Abraham, présentés comme un cadre de coopération régionale, mais perçus par beaucoup comme un levier d’influence géopolitique et économique des États-Unis au Maghreb.
Cette visite s’inscrit dans un contexte régional plus large, où la tournée de Boulos – après les Émirats et avant d’autres capitales maghrébines – reflète l’ambition américaine de consolider son emprise sur une région stratégique. Les accords d’Abraham, en particulier, sont au cœur de cette stratégie, visant à redessiner les alliances au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Pour la Tunisie, y adhérer pourrait signifier un accès accru aux investissements étrangers, mais au prix d’une dépendance croissante vis-à-vis des intérêts américains, potentiellement au détriment de son autonomie diplomatique et de sa solidarité historique avec la cause palestinienne.
Le profil singulier de Massad Boulos, à la croisée des mondes économique, politique et familial lié à l’administration Trump, incarne une diplomatie américaine pragmatique et opportuniste. Aux côtés de Joshua Harris, dont l’expertise en affaires nord-africaines renforce la crédibilité de la délégation, Boulos symbolise un nouvel ordre régional où les priorités de Washington – sécuritaires, économiques et géopolitiques – priment sur les dynamiques locales. Cette approche contraste avec la posture de Kaïs Saïed, dont les gestes symboliques, bien que sincères, peinent à s’inscrire dans une stratégie cohérente capable de contrebalancer l’influence extérieure.
Loin d’être anodine, cette rencontre expose la fragilité de la souveraineté tunisienne, prise en étau entre un nationalisme de façade et les ambitions globales d’une superpuissance. La Tunisie se trouve à un carrefour critique : céder aux pressions américaines pourrait ouvrir la voie à des opportunités économiques, mais au risque de diluer son identité diplomatique et de s’aliéner une partie de sa population attachée à l’indépendance nationale. À l’inverse, un refus catégorique des injonctions de Washington pourrait isoler le pays sur la scène internationale, dans un contexte où les équilibres régionaux sont en pleine recomposition.