L’élection législative irakienne du 11 novembre 2025 dépasse largement le cadre d’un simple scrutin national : elle s’apparente à une guerre froide pour le contrôle de l’aile chiite du pays. Au centre de ce duel, deux figures liées par l’histoire mais séparées par l’ambition : Mohammed Shia al-Sudani, Premier ministre sortant, et Nouri al-Maliki, son ancien mentor devenu adversaire.
Longtemps fidèle de Maliki, Sudani a gravi les échelons du parti Dawa et de la coalition « État de droit », occupant des ministères clés. En 2022, il émerge comme candidat de compromis au sein du Cadre de coordination (CC), l’alliance de partis et de milices chiites qui domine la scène politique depuis 2003. Là où la vieille garde escomptait un exécutant docile, elle a trouvé un stratège capable d’utiliser les leviers de l’État pour asseoir sa propre autorité.
Aujourd’hui, Sudani se présente contre son ancien camp, affichant une vision technocratique et non sectaire. Sa liste « E’mar wa Tanmiya » (Reconstruction et Développement) met en avant un bilan concret : routes, ponts, hôpitaux, création de 600 000 emplois publics et augmentation des salaires. En équilibre entre Washington et Téhéran, il séduit non seulement les chiites modérés, mais aussi les sunnites et les Kurdes, tout en cultivant une image de dirigeant efficace, saluée à l’étranger, notamment par Emmanuel Macron.
Pour Maliki, Sudani représente une « hérésie » : le pouvoir ne s’acquiert pas dans la rue, mais dans les alliances entre chefs politico-militaires. L’ancien patriarche post-2003 accuse le Premier ministre sortant d’« exploitation électorale » : la distribution de 8 600 lettres de remerciement aux fonctionnaires constitue, selon lui, un clientélisme flagrant. Pour Maliki, le chemin vers le poste suprême passe par le CC, dont il détient la clé, et non par l’électorat direct.
Le système légal lui donne raison. Selon un arrêt de la Cour suprême de 2010, le « bloc le plus important » – et non le parti majoritaire – a le droit constitutionnel de proposer le Premier ministre. Maliki l’a dit sans détour : « Après les élections, nous reformerons un seul bloc. » Traduction : peu importe le verdict des urnes, le Cadre décidera du destin politique du pays.
Deux éléments majeurs pourraient freiner l’ascension de Sudani. D’une part, le boycott de Moqtada al-Sadr, capable de mobiliser la rue, risque de réduire la participation et de priver le Premier ministre sortant d’un électorat réformiste crucial. D’autre part, la pression américaine, incarnée par Marco Rubio et Mark Savaya, exige le désarmement des milices pro-iraniennes : Sudani se trouve confronté à un dilemme complexe, devant choisir entre se plier aux exigences extérieures et risquer des tensions internes, ou résister et compromettre les investissements américains indispensables.
Dans ce contexte tendu, la voie vers un second mandat apparaît étroite et semée d’embûches. Même si sa coalition parvient à devancer celle de Maliki, Sudani devra réussir à dominer l’électorat chiite, imposer un nouveau consensus au sein du Cadre de coordination ou, à défaut, forger une alliance inédite avec sunnites, Kurdes et indépendants. Qu’il réussisse ou non à atteindre le poste suprême, un bon score électoral lui garantirait néanmoins un accès à des ministères stratégiques, la constitution d’un réseau solide et la création d’un pôle d’influence durable au cœur de la politique irakienne.
Au-delà des individus, ce duel pose une question essentielle : en Irak, la légitimité politique naîtra-t-elle enfin d’un dialogue direct avec le peuple, ou restera-t-elle capturée par une élite politico-militaire ? Le verdict des urnes du 11 novembre 2025 donnera une première indication sur la capacité du pays à dépasser les jeux d’influence et à évoluer vers un système plus représentatif.

























