C’est une trahison d’État que des milliers d’Afghans vivent dans la peur et le silence. En révélant accidentellement les noms, adresses et identités de 19 000 personnes ayant collaboré avec les forces britanniques, le ministère de la Défense du Royaume-Uni a commis l’impardonnable : exposer à la vengeance des talibans ceux qui ont risqué leur vie pour servir Londres.
L’affaire, restée sous secret pendant près de deux ans par une injonction judiciaire inédite, vient d’éclater au grand jour. En février 2022, un soldat britannique transmet par erreur une liste complète de demandeurs d’asile dans le cadre du programme ARAP (Afghan Relocations and Assistance Policy). Cette fuite, partagée ensuite sur les réseaux sociaux, a très probablement été interceptée par les talibans. À partir de là, pour les familles restées en Afghanistan, la chasse commence.
Le gouvernement britannique, pris de court, mettra plus d’un an à reconnaître officiellement l’incident. Pendant ce temps, la peur s’installe, la mort frappe. Des traducteurs, des auxiliaires, d’anciens soldats afghans tombent dans l’oubli. Pour ceux qui ont pu fuir, l’exil n’efface pas l’angoisse : au Royaume-Uni, ils vivent avec la culpabilité de ceux qu’ils ont laissés derrière eux, et la colère d’avoir été abandonnés.
Londres tente de réparer. En avril 2024, un programme de réinstallation secret est lancé. Environ 6 900 personnes sont extraites d’Afghanistan dans l’urgence, mais près de 9 500 autres restent sur place, exposées, vulnérables, sans garanties. Le ministre de la Défense John Healey admet qu’il est impossible de déterminer si des victimes ont été assassinées à la suite de cette fuite — une manière cynique de refuser la responsabilité.
Pendant ce temps, le soldat fautif est simplement déplacé de poste. Aucune sanction. Aucune justice. Et pour les Afghans, aucune certitude de survie. Le message est glaçant : avoir aidé la démocratie occidentale peut vous coûter la vie.
Ce scandale, au-delà de l’erreur humaine, révèle l’effondrement moral d’un État qui oublie ses alliés dès qu’ils ne sont plus utiles. Ce n’est pas seulement une fuite de données : c’est une faillite politique, une compromission des valeurs, une insulte au sacrifice. Et une tragédie qui, pour des milliers de familles afghanes, n’est toujours pas terminée.
Il est encore temps d’agir. Mais le Royaume-Uni doit faire plus que des excuses. Il doit réparer, protéger, et surtout assumer pleinement la responsabilité d’un échec qui a coûté — et qui coûtera encore — des vies humaines.